Mener l’Anti-Guerre en France et au Royaume-Uni, Houria Bouteldja pour les nuls
Entretiens

Mener l’Anti-Guerre en France et au Royaume-Uni

Ludivine BantignyHouria Bouteldja et Chris Nineham 8 février 2018 - Contretemps.

Les deux entretiens ci-dessous, réalisés par Barbara Karatsioli, livrent un aperçu du mouvement anti-guerre en France et au Royaume-Uni, respectivement au travers du collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre » créé en 2016 et de « Stop the War Coalition » constitué en 2001. Les lire ensemble met en exergue l’articulation du binôme anti-guerre et anti-impérialisme dans l’élaboration de leurs stratégies. Trois autres problématiques traversent l’esquisse généalogique de ces collectifs et affinent leurs stratégies anti-guerres : leur relation aux mouvements sociaux, aux partis de la gauche radicale et aux gouvernement(s).

Anti-guerre ou/et anti-impérialiste ?

Les deux collectifs partagent donc cette conviction que l’interventionnisme occidental est la condition d’existence du terrorisme. L’anti-impérialisme clairement assumé du mouvement anti-guerre français, est abordé dans le premier entretien conduit avec Ludivine Bantigny, membre-fondatrice du collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre » né en 2016, et Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), une des organisations membres du collectif. C’est aussi une conviction qui dessine la ligne stratégique de « Stop the War Coalition » ; conviction énoncée par Jeremy Corbyn, ancien président du collectif, suite aux attentats terroristes de Manchester en mai 2017. Mais se positionner ouvertement comme anti-impérialiste, n’aurait fait qu’entraver la cause anti-guerre, selon Chris Nineham, membre-fondateur du collectif, dans le second entretien. Pourquoi restreindre le potentiel de mobilisation et permettre la confusion des causes quand l’urgence stratégique lors de la constitution du collectif en 2002 était celle de la mobilisation massive contre l’engagement de son pays dans la guerre déclarée par les Etats-Unis ? Le facteur temps est déterminant dans ce choix stratégique : car l’avènement du mouvement avant même que les Etats-Unis aient déclaré la guerre entrave la récupération pro-guerre de l’expérience des attentats. La mobilisation rapide et massive freine la dégénération des affects en pro-guerre et permet de réunir au contraire des millions de personnes à travers le Royaume-Uni dans des manifestations contre l’entrée en guerre de la Grande Bretagne contre l’Iraq en 2003.

Les stratégies du collectif français se définissent dans un deuxième temps, notamment en réaction à l’état de guerre institué par le président Hollande et à l’expression paradoxale de l’union sacrée du mouvement « Je suis Charlie » ; ces circonstances ont rendu possible le déchaînement des affects pro-guerre et l’éclosion d’une pensée militariste. C’est face à cette tendance à l’unité nationale qui normalise la guerre et qui anéantit les possibilités d’opposition à l’interventionnisme militaire français, qu’une expression politique plus complexe contre l’impérialisme et les guerres françaises s’impose. Bouteldja et Bantigny nous font part de cet impératif à travers leurs propres cheminements politiques que ce soit du mouvement contre l’islamophobie ou de celui contre l’état d’urgence et jusqu’à leur confluence dans la nécessaire praxis anti-guerre et anti-impérialiste. Emprunter la voie anti-impérialiste pour construire un mouvement anti-guerre est un appel à toutes les forces qui veulent mener l’opposition aux politiques intérieures et extérieures de la France.

Etablir la pensée politique anti-guerre 

Les deux collectifs entreprennent une lutte dont la gauche radicale et ses mouvances refusent de s’emparer, celles-ci contribuant ainsi directement ou indirectement à la croissante militarisation de la société. Ils construisent un espace à l’extérieur mais toujours en tangente avec les partis politiques en déphasage et avec les mouvements sociaux. Notons pour le lecteur qu’en 2003, le mouvement altermondialiste s’est engagé contre la guerre en Iraq, par le biais de « Stop the War Coalition ». Pour les mouvements anti-guerre, il est nécessaire de (re)conquérir le terrain de luttes sociales nationales et transnationales et de faire en sorte que les luttes contre les lois néolibérales du travail, de la sécuritaire, de la violence répressive- racisée et politisée- de l’Etat s’étendent à l’anti-guerre. Lutter contre des dirigeants politiques bellicistes de stratégies néolibérales, Hollande et Macron en France, Blair et Bush puis May et Trump côté anglo-saxon. La lutte est dans la durée : le collectif britannique parvient en 2017 à présenter son candidat anti-guerre aux élections, le travailliste Jeremy Corbyn, et ce au terme de quinze années de lutte anti-guerre extra-parlementaire et parlementaire. Il s’engage alors pleinement à le hisser au rang de premier ministre. Si vue du Royaume-Uni, la France Insoumise paraît être un mouvement crédible contre l’assaut néolibéral, des deux côtés de la Manche ces collectifs interrogés déplorent l’absence de pensée anti-guerre de cette mouvance. Les Français, de la droite au pouvoir à la gauche ont massivement dénoncé en 2002 la guerre étatsunienne alors qu’au même moment, l’islamophobie a commencé à devenir plus visible. Notons que c’était une de luttes engagées déjà par le collectif anti-guerre « Agir Contre la Guerre » et qui a progressivement mené à la fin du collectif. Le collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre s’engage une décennie plus tard, non pas contre les guerres des autres mais contre les guerres menées depuis longtemps par la France même (guerres coloniales et postcoloniales), contre les guerres engagées actuellement, contre l’état d’urgence et l’état de guerre et contre ce que Chris Nineham nomme des « guerres islamophobes ».

Regards sur le Collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre ». Entretien avec Ludivine Bantigny et Houria Bouteldja

Barbara Karatsioli : Dans quelle conjoncture s’est mis en place le mouvement anti-guerre en France ? Est-il directement lié aux attentats de novembre 2015 et à l’instauration et prorogation de l’état d’urgence ?

Houria Bouteldja : Il ne faut pas oublier qu’il y a d’abord eu « Charlie », l’attaque terroriste contre le journal et le mouvement « Je suis Charlie » en janvier 2015. C’est le Collectif organisateur des conférences internationales contre l’islamophobie (dont la genèse remonte à la loi de 2004), qui a permis à ce moment-là l’émergence d’une expression politique plus complexe que « Je suis Charlie » : Il y a toute une frange de l’opinion qui ne s’est pas rangée derrière ce mot d’ordre et qui a estimé avoir le droit, tout en dénonçant les attentats, de ne pas être Charlie. Le collectif a rendu possible cette expression et l’action antiraciste. Mais, comme dans toute alliance politique, il a fallu pour l’organisation du meeting du 6 mars 2015 à la Bourse du Travail de St Denis « Contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire » faire des concessions aux organisations signataires, notamment sur l’anti-impérialisme. Cela n’a pas empêché toutefois le développement d’une parole anti-impérialiste. Ce mouvement contre l’islamophobie, ayant existé et agi avant le mouvement anti-guerre, a mis en place les conditions pour l’émergence de ce dernier. Les attentats de novembre ont ouvert le deuxième acte vers la formulation de revendications contre la guerre. Face au camp de la guerre, représenté par des figures politiques comme E.Valls, il était important de construire un camp pour la paix, la justice et la dignité notamment à travers   le meeting du 11 décembre 2015. Et la condition pour la paix, ce qui a donné tout son sens à l’émotion, c’est l’anti-impérialisme. C’est cette configuration qui a permis à ceux qui ne sont Charlie de s’allier contre la guerre.

Ludivine Bantigny : Après le massacre à Charlie Hebdo et à l’Hyper Casher, l’émotion que nous avons ressentie a été immédiatement récupérée et instrumentalisée au plus haut sommet de l’Etat, mais aussi dans les médias. Tout d’abord par cette assignation à « être Charlie », slogan sorti en autocollants dès le soir du 7 janvier. Nous avons revendiqué le droit d’être horrifié.es par les attentats – ceux d’ici et ceux de là-bas – sans endosser cette pensée par slogan dans laquelle nous ne nous reconnaissions pas. Puis la manifestation du 11 janvier, dont l’origine était pour partie spontanée, a été elle aussi mise sous tutelle par le gouvernement : je me souviens de Valls nous enjoignant d’aller manifester. Manifester, avec ce cortège de tête à Paris, brochette infâme de dictateurs divers qui piétinent chaque jour allègrement la liberté d’expression au nom de laquelle ils venaient ici se répandre en hypocrisie ? Non, nous ne pouvions pas nous résoudre à marcher derrière ces gens-là. Des textes sont allés en ce sens ; le nôtre, paru dans Le Monde, s’intitulait « Non à l’union sacrée ». Ce même dispositif de récupération idéologique et guerrière des attentats s’est reproduit après le 13 novembre : dès le lendemain du massacre au Bataclan et dans les rues de Paris, la riposte de Hollande et Valls a été d’intensifier les « frappes » sur la Syrie. C’est ce qui nous a poussé.es, initialement avec Christine Delphy et Willy Pelletier rejoint.es par bien d’autres, à publier une tribune, « A qui sert leur guerre ? ». Ce texte a connu un certain succès de diffusion : beaucoup s’y sont reconnu.es, nous avons reçu des centaines de messages et de signatures. Cette aspiration à penser autrement que ce que nous dictait le gouvernement nous a conduit.es à lancer un appel pour l’organisation d’un mouvement plus structuré, pointant du doigt la spirale infernale de la guerre et des bombes à retardement que sont les bombardements. De son côté, le collectif « Stop à l’état d’urgence » s’est très vite constitué après les attentats de novembre 2015, et nous y avons pris notre part. Mais évoquer la guerre était très difficile, tant dans ce collectif que dans les partis politiques, où la priorité était de lutter contre l’état d’urgence. Ici et là, les interventions militaires sont devenues un sujet quasiment tabou. C’est alors que la constitution d’un collectif anti-guerre nous a paru impérative. Une première réunion en janvier 2016 très soutenue a confirmé cette intuition. Nous avons voulu créer un espace où l’on pouvait véritablement et librement parler de la guerre, trouver des moyens pour décaler les propos parus dans les médias français : dès que l’on diversifie les sources d’informations, on saisit et élabore des analyses bien différentes d’un certain conformisme où il faudrait faire allégeance à la supposée nécessité et la tout aussi supposée légitimité de ces interventions. A nos yeux, elles ne combattent pas le terrorisme, elles l’alimentent.

B.K : Quel est le terrain politique que veut conquérir le collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre » ?

L.B : Notre aspiration est de reconstituer un mouvement anti-guerre, si affaibli en France – ce qui est bien différent dans d’autres pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Le thème même des impérialismes en général et de l’impérialisme français en particulier s’est considérablement affaissé y compris dans les organisations pour qui la lutte contre l’impérialisme était une tradition. Il y a eu certes d’autres collectifs anti-guerre dans le passé, notamment le collectif Agir Contre la Guerre (ACG) créé en 2001, mais ceci à un moment où il y avait unanimité contre la guerre et l’impérialisme états-unien. C’est beaucoup plus difficile ici quand la France est en jeu. En 2002-2003, il y avait une forte mobilisation, presque une unanimité contre les guerres de Bush ; mais qu’en est-il lorsque la France est concernée ? Notre objectif n’était pas de se situer sur l’axe du bien et du mal d’une quelconque façon mais de s’attaquer directement à l’impérialisme français. Nous pouvons certes discuter des autres grandes puissances engagées dans les guerres, mais nous sommes ici, c’est ici que nous pouvons agir : c’est donc la question de « notre » Etat qui est posée. Et ce d’autant que ces questions échappent à toute transparence et à toute démocratie. Les grands médias sont entre les mains de quelques patrons par ailleurs marchands d’armes. Nous tenons à rendre légitime la discussion autour des interventions françaises, notamment en Syrie, en Libye, au Mali…

H.B : Actuellement, la gauche radicale cède au moralisme et aplatit tout. Daesh ne peut pas se comprendre sans l’Irak et sans les guerres. « Je suis Charlie » se pose comme une parole contre Daesh. Mais, il est ridicule et surtout inopérant de condamner Daesh sans condamner les conditions d’émergence de Daesh ; il faut condamner l’impérialisme, soutenir la souveraineté des peuples, revenir aux fondamentaux. S’en prendre à l’impérialisme nécessite qu’on essaie de comprendre d’où viennent les « monstres ».

L.B : Et il semble que ce soit un peu plus ouvert, plus envisageable que dans l’immédiat des attentats. Le « Je suis Charlie » a souvent empêché de discuter et a court-circuité certains débats, plus audibles aujourd’hui.

B.K Pourquoi le nom difficile de « Ni Guerres, Ni état de guerre » pour ce collectif anti-guerre ?

L.B :  Nous avons souhaité ne pas dissocier l’état d’urgence et l’état de guerre ; les deux sont liés. Ils renvoient à une nouvelle manière de gouverner, par la guerre et par la peur, et ont pour conséquence une militarisation des esprits (« Nous sommes en guerre »), qui se traduit aussi bien dans les espaces de nos quartiers quadrillés par les militaires, sur les affiches de l’Armée dans les couloirs du métro et jusque sur les tables des cafés, et dans les écoles mêmes où intervient, très officiellement, l’Armée. Les premières cibles du « Nous sommes en guerre » sont les populations victimes du racisme, dans les quartiers populaires ; ce sont entre autres les personnes musulmanes ou supposées telles. Des contrats de l’armée sont sous-traités par l’éducation, avec des centaines de millions d’euros détournés pour servir à la défense : nous voulons réfléchir à l’expansion de l’état de guerre, penser à des alternatives. Entendre une voix comme celle d’Aminata Traoré, par exemple, permet de ne pas entonner le grand chœur de la France « sauveur suprême » : il y a un mouvement anti-impérialiste au Mali. Aminata Traoré, parmi d’autres, entend replacer la situation dans un ensemble bien plus vaste : les djihadistes qui sévissent au Mali sont une conséquence, entre autres, du chaos libyen. Nous voulons produire de la connaissance sur tous ces sujets : c’est la première chose à faire dans la mesure où nous sommes très minoritaires : et le rapport de forces est par définition inégal, étant donné ce que sont les médias français. A travers les questions portées par les membres signataires de notre collectif, comme Survie, Sortir du colonialisme, l’UD CGT, le PCOF et bien d’autres, nous délimitons aussi le terrain d’action et de réflexion : nous allons ouvrir la discussion sur le référendum prochain en Nouvelle Calédonie (Kanakie) qui concerne la France. Notre collectif est notamment membre du « Mouvement pour la Paix » et aussi du Collectif « Non à l’OTAN, Non à la Guerre ».

B.K. Le collectif « Ni Guerres, Ni état de Guerre » a été constitué à un moment qui a vu surgir des mouvements sociaux qui s’entrecroisent d’une certaine façon, notamment, le mouvement contre la Loi « Travail » et le mouvement « Nuit Débout » ?

L.B : Le collectif a participé à « Nuit Débout », où nous étions très présent.es. Nous nous sommes mobilisé.es contre la loi « Travail » avec notre propre banderole anti-guerre. Nous tenions à faire le lien entre les mouvements, à poser la question, entre autres, du budget militaire, de tout ce qui échappe à notre information et à notre décision.

H.B : Bien que dans le collectif anti-guerre, en tant que PIR nous n’avons pas participé à « Nuit Débout ». Car la période qui a suivi les attentats à Paris a été marquée par une offensive sécuritaire contre les quartiers, des perquisitions tous azimuts, et un mouvement social indifférent à ces agressions voire complice d’une certaine manière puisque tétanisé par l’impératif sécuritaire. La séquence qui a suivi est celle de la mobilisation contre la loi Travail. Le mouvement a certes été massif, mais nous ne l’avons pas soutenu pour ces raisons-là. En effet, si les quartiers populaires ne sont pas dignes d’être soutenus par le mouvement social, pourquoi devrions-nous soutenir les revendications du mouvement social qui pour pertinentes qu’elles soient n’ont pas mobilisé en banlieues : on ne peut pas défendre une cause qui n’en est pas une pour les quartiers. Nous défendons l’antiracisme politique et nous tenons à nous faire entendre par le monde militant sans pour autant nous faire absorber. Pendant les premiers instants de « Nuit débout » nous étions investis dans le travail d’élaboration de la deuxième marche de la dignité qui comme vous le savez dénonce le racisme d’Etat en général et les violences policières en particulier. Comme le mouvement social a fortement été réprimé, nous avons considéré qu’il y avait là une opportunité politique d’alliance contre la répression de l’Etat qui vise les Quartiers Prioritaires (QP) et le mouvement social. Ça a marché avec la deuxième marche de la Dignité le 19 mars 2017.

L.B : Je vois là aussi une domination économique qui s’abat sur tous les précaires, et souvent plus encore sur les personnes racisées. Car la singularité des quartiers ne repose pas seulement sur la violence policière mais aussi sur la violence économique ; Macron défend une ligne entrepreneuriale qui vise à exploiter toujours plus la population des quartiers populaires. Il faut politiser ces questions économiques. Et c’est aussi un immense levier pour constituer des alliances et une unité. La nouveauté de ces derniers mois, depuis le mouvement anti-loi travail et sa répression policière, c’est que des grévistes, des manifestant.es, des syndicalistes, en général épargné.es par une violence jusqu’à présent ciblée sur « les quartiers », se sont confronté.es à cette violence-là. Ça a permis de mieux prendre conscience de cette violence, de nouer des liens, de construire des ponts entre nos luttes. Il était temps. Mais ces ponts-là devraient aussi nous réunir sur les régressions sociales et économiques.

H.B : L’essentiel pour nous, en tant qu’indigènes est de ne pas nous fondre dans un mouvement qui pose comme centrales les revendications des catégories sociales blanches menacées de déclassement. Nous avons trois objectifs : nous opposer au racisme d’Etat dont l’islamophobie, militer pour la reconnaissance de la Palestine et contre la Françafrique et enfin lutter contre la violence politique. C’est sur ces trois points que notre participation à « Ni Guerres, ni état de Guerre » s’est fondée.

B.K : Comment analysez-vous la situation politique actuelle en France et plus particulièrement sous la présidence Macron ? Dans quelle praxis s’engage le collectif anti-guerre, et aussi le PIR séparément?

L.B : Son investiture est militaire ; sa première visite officielle, après Berlin, a été pour le Mali, à Gao, base militaire, comme sa promesse de rester au Mali « tant qu’il y aura des terroristes »… Il y a là tous les signes d’un impérialisme français. On voit que le néolibéralisme ne signifie pas la fin de l’Etat : la démission du général de Villiers est mineure par rapport à l’intervention de l’Etat, qui peut sous-traiter des pans entiers de secteurs stratégiques sans pour autant baisser la garde. Le collectif organise tout au long de l’année des débats à la Bourse du Travail : en février, nous débattons de la situation au Mali, un événement organisé avec Survie. Nous organiserons ainsi un forum sur l’anti-impérialisme au printemps 2018, ce qui invitera à discuter de la notion, de sa pertinence et de ses évolutions historiques, y compris avec des courants qui ne l’emploient plus désormais.

H.B : Le président Macron est un libéral qui tente d’éviter les questions identitaires ce qui ne veut pas dire qu’il ne sera pas rattrapé par la question de l’Etat et de la hiérarchisation raciale entre autres qu’impose sa logique nationaliste. La question identitaire est mineure pour lui. Comme les libéraux américains, il compte sur l’émergence d’une classe bourgeoise indigène qui fera tampon et qui donnera l’illusion du « Yes we can ». Il veut intégrer une partie des indigènes à la logique capitaliste et en même temps neutraliser les velléités protestataires qui couvent dans les quartiers prioritaires. C’est pourquoi, il n’hésite pas à aborder les questions post-coloniales : celle du colonialisme passé comme crime contre l’humanité. Ca ne lui coute rien car c’est un homme pragmatique. L’essentiel pour lui c’est de préserver le colonialisme d’aujourd’hui. Comme l’a dit Ludivine, c’est en chef militaire qu’il se pose essentiellement ; il redonne de la cohésion, là où l’islamophobie divise. Mais il n’est pas le seul dans l’arène.  Il faut aussi compter sur les forces néo-conservatrices et identitaires de gauche et de droite qui ont été battues et qui ont soif de revanche, si l’on en croit les campagnes médiatiques extrêmement agressives contre ce front pourtant hétérogène qui refuse de sombrer dans l’islamophobie ou qui dénonce Israël. Quant au Melenchonisme, il illustre parfaitement l’illusion républicaine qui se gargarise de mots comme « Universalisme », « valeurs républicaines »…mais qui n’est dans les faits qu’un national-républicanisme franchouillard. Un projet dénué d’imagination politique et incapable de penser les défis d’une véritable alternative en collaboration avec les forces vives des quartiers prioritaires.

Nous avons organisé d’ailleurs le 10 décembre, une journée internationale contre l’islamophobie, une journée intitulée « Macron ou l’état d’urgence permanent » à la Bourse du Travail de St-Denis. Plus tard en 2018, nous allons organiser le « Bandung Nord » sur lequel nous reviendrons dans les mois qui viennent.

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Regard sur Stop the War Coalition : Entretien avec Chris Nineham

B. K : Comment Stop the War Coalition a-t-il émergé ? Inaugure-t-il un terrain de luttes anti-guerre britanniques jusqu’à alors vierge ?

Chris Nineham : Le mouvement anti-guerre au Royaume-uni date d’avant la première guerre mondiale. Son influence tout au long de la guerre a été considérable, notamment par son impact conséquent sur le parti travailliste. Toute guerre britannique depuis lors a fait naître un mouvement d’opposition, sauf peut-être la guerre des Malouines menée par le gouvernement Thatcher qui n’a pas provoqué d’importantes manifestations – pour des raisons de conjoncture qu’on n’abordera pas ici. L’invasion britannique – et française – de Suez, mais surtout la guerre du Vietnam ont vu la mise en place d’un grand mouvement anti-guerre. Un comité contre la guerre du Golfe a rassemblé plus de 50.000 personnes. Il ne faut pas oublier cependant le travail de la CDN (Campagne pour le Désarmement Nucléaire), toujours active, créée contre la guerre nucléaire. Les guerres balkaniques sous le gouvernement Blair ont conduit à de grands meetings. Toutes ces expériences accumulées ont fait que Stop the War Coalition a initié des activités tout de suite après les attentats du 11 septembre, avant même que n’aient eu lieu les déclarations des guerres à l’Afghanistan ou à l’Irak. La première assemblée de 3000-4000 personnes a souligné la nécessité massive d’arrêter la guerre avant qu’elle ne commence. L’événement dépassait le cadre de l’extrême gauche ou de la gauche radicale.

B.K : Quels étaient les objectifs de Stop the War Coalition au moment de sa création ? Ont-ils changé depuis ? 

C.N : Le mouvement n’a pas été créé pour prendre position contre toutes les guerres ; c’est à la guerre islamophobe que nous nous sommes opposés. L’élément mobilisateur a consisté à protester contre nos propres guerres, contre les guerres britanniques, comme le mouvement anti-guerre français s’oppose aux guerres menées par la France, et contre le soutien britannique aux guerres états-uniennes. Si on s’était trouvé en Russie, on aurait manifesté contre les actions russes. Mais, actuellement, d’un point de vue anti-guerre, ce sont les Etats-Unis qui sont le grand problème dans le monde. La Russie, face aux Etats-Unis n’est qu’un problème mineur.

Les lignes directrices du collectif ont été établies lors de notre second meeting. On a voulu créer un front uni afin de livrer bataille pour arrêter les guerres, opposer nos interventions de guerre britanniques. Pour favoriser l’unité et l’élargissement du mouvement, nous avons pris la décision, lorsque le sujet a surgi, de ne pas mentionner l’anti-impérialisme. Nous avons considéré qu’on n’avait pas besoin d’être anti-impérialiste pour être anti-guerre. Parler de la guerre était lié à l’expérience des gens ; la perspective anti-guerre pouvait mobiliser plus facilement et contribuerait à nos efforts pour nous connecter à des millions de personnes et non pas nous réduire à quelques centaines – comme cela se serait produit si on s’était limités à la bannière de l’anti-impérialisme.

On était déterminé à créer un mouvement sérieux contre la guerre. Il y a toujours des millions de personnes contre la guerre. Mais comment les atteindre ? Il était impératif d’aller au-delà notre propre « politiquement correct » pour inclure des hommes politiques en faveur desquels nous n’étions pas – dont des figures politiques du parti conservateur. Nous avons fait une série d’efforts conscients pour obtenir le maximum de soutien, des communautés musulmanes, des hommes politiques, des célébrités dont des musiciens, des intellectuels, tous nous suivant avec sérieux.

La réunion a donné naissance à trois slogans qui demeurent toujours les mots d’ordre du collectif : « Arrêter la guerre » (Stop the war) ; « Non aux attaques contre les libertés civiles » ; « Non à l’islamophobie ». D’autres éléments ont été rejetés comme étant moins importants, par exemple : « Non à l’Union européenne ».

B.K : Au cours de ses dix-sept ans d’existence, quels types d’actions a organisés le collectif ? Comment les a-t-il menées ?

C.N : Nous avons organisé durant tout ce temps une série de manifestations, des grèves et des actions directes. En 2001 et en 2002, nous avons organisé des manifestations massives (250.000 personnes) tout en essayant en parallèle de chercher du soutien à l’intérieur du Parlement. Des activités combinées, parlementaires et extra-parlementaires, se poursuivent depuis, visant toujours les implications militaires britanniques. Nous avons poursuivi la lutte contre la guerre en Irak et en Afghanistan, malgré la difficile mobilisation pendant la présidence Obama, due avant tout à son déguisement humanitaire mais aussi à son aspect plus limité. C’est contre la guerre en Syrie qu’il s’est avéré le plus difficile de mobiliser les gens, notamment à cause du soutien de partis de gauche à l’opposition syrienne pro-ouest. C’est malheureusement bien plus tard que cette position tenue par Stop the War Coalition s’est avérée là encore nécessaire.

Sur l’ISIS et l’Irak, il faut apprécier l’intervention de Jeremy Corbyn après Manchester, dans laquelle il présente ouvertement le terrorisme comme produit de l’intervention occidentale. C’est là que l’on voit clairement l’importance de l’anti-guerre et de son opposition à l’impérialisme – sans pour autant que l’on doive se déclarer anti-impérialiste à tout prix.

La campagne actuelle contre Trump fait aussi une importante interaction contre la guerre et l’on voit actuellement l’alliance émergente dans le Moyen-Orient entre Israël, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Il fallait arrêter Trump dès son instauration au pouvoir, comme figure de folie avec pour conséquence l’augmentation de la violence au Moyen-Orient. L’opposition contre Trump, le collectif l’a menée à travers le collectif Stand up to Trump, à côté du collectif Stop Trump – de tendance pro-UE et légèrement anti-Corbyn.

La Palestine, est un élément de rassemblement qui pèse considérablement pour le collectif : la campagne entreprise notamment en 2010 et en 2016 et tant que la grande offensive continue.

B.K : Quelles relations entretient le collectif avec les mouvements sociaux ?

C.N : Depuis son existence, le collectif a fait la jonction avec le mouvement d’anti-globalisation et le mouvement anti-capitaliste en 2003. Mais un tel croisement n’a pu émerger lors de l’organisation de l’anti-G8 à Gleneagles en 2005. Les manifestations anti-G8 par Oxfam et les Amis de la Terre, associations proches de Tony Blair pour lesquelles l’intervention humanitaire était progressiste, n’ont pas voulu inclure Stop the War Coalition. Le collectif a toutefois été présent avec un grand événement organisé en parallèle des événements d’Oxfam et avec l’organisation de la manifestation à Gleneagles-même. La G8 portant sur le « combat contre la pauvreté », le slogan de la coalition a été « Combattre la pauvreté, non pas les guerres » (Fight Poverty not Wars). Le collectif est très actif internationalement dans des collectifs tels que le collectif international contre l’OTAN. Mais, aujourd’hui, il est plus difficile de monter une manifestation internationale ou européenne contre la guerre, parce qu’il n’y a plus de collectifs anti-guerre. Les collectifs et le mouvement sont à reconstruire. 

B.K : Le collectif s’est prononcé lors de sa dernière assemblée générale en faveur de Jeremy Corbyn. Qu’est-ce qui a mené le collectif à déclarer son soutien à un candidat ?

C.N : Corbyn fait partie du mouvement anti-guerre ; il doit sa carrière au mouvement anti-guerre. Et nous voulons avoir un bon gouvernement avec des politiques anti-guerre. Le Parti travailliste a un leader anti-guerre sans pour autant être un parti anti-guerre en soi. Nous devons commencer par là. Une partie de nos activités actuelles est notamment de soutenir l’avènement d’un gouvernement anti-guerre. Il y a une lutte à mener à l’intérieur du parti travailliste. La recommandation générale donnée était de ne pas évoquer l’anti-guerre avant d’entrer dans le gouvernement. Mais les résultats de l’élection précédente montrent qu’il y a un terrain anti-guerre. L’actuel gouvernement, et le chaos qu’il engendre, doit être défait. Il est temps de faire tomber le gouvernement pour en établir un qui soit anti-guerre. C’est en cela que consiste notre campagne actuelle.

B.K : Vous suivez de près la politique française. Comment analyseriez-vous la situation française actuelle ?

C.N : La situation en France marque l’effondrement du centre. Les politiques néolibérales du marché libre du gouvernement Hollande font renaître le projet néolibéral de ses cendres. Le gouvernement Macron est quant à lui un gouvernement illégitime dont la lune de miel s’est terminée trois heures après son élection. La question est néanmoins de savoir qui bénéficiera de la crise du statu quo. Nous avons là une crise de la droite et du néolibéralisme et non pas du socialisme d’Etat, comme cela a été le cas dans les années 1970 ; c’est la crise du marché libre. La gauche peut sortir victorieuse de cette crise. La « France Insoumise » de Mélenchon peut en partie constituer une alternative, bien que vivement critiquable de notre point de vue anti-guerre. C’est néanmoins une alternative qui a pu s’imposer contre le fascisme de Marine Le Pen et contre le néolibéralisme. Elle se veut une véritable alternative pour les travailleurs. Mélenchon a conduit le peuple dans la rue, il ne s’est pas seulement intéressé aux électeurs. Il est important de créer des alliances pour ramener au centre de la politique française une politique anti-guerrière.

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