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Ma (vraie) page Wikipédia, Houria Bouteldja pour les nuls
Houria Bouteldja au Bandung du Nord, Saint Denis, 2018

Houria Bouteldja est une militante politique française, née à Constantine en Algérie.

Elle co-fonde le Parti des Indigènes de la République (PIR), organisation décoloniale, dont elle est la porte-parole jusqu’à sa démission en octobre 2020.

Engagée contre le racisme, l’islamophobie et l’impérialisme, elle fait l’objet de nombreuses controverses et se voit fallacieusement accusée d’antisémitisme, d’homophobie, de sexisme, de communautarisme et de racisme anti-blanc. Elle est cependant soutenue par des personnalités de gauche ou décoloniales universitaires ou militantes, en France ou à l’international parmi lesquelles l’intellectuel portoricain Ramon Grosfoguel, le philosophe argentin Enriqué Dussel, les universitaires afro-américains Angela Davis et Cornel West.

1. Biographie

Commencements

Son premier engagement remonte au projet de loi d’interdire le voile à l’école. Après avoir tout d’abord participé au « collectif Une école pour tou-te-s » (CEPT) avec Christine Delphy, Pierre Tévanian, Ismahane Chouder, Monique Crinon, Catherine Samary, elle crée le collectif « les Blédardes », en réaction au discours de Ni putes ni soumises. Elle promeut alors l’idée d’un « féminisme paradoxal » se traduisant par une solidarité des femmes issues de l’immigration « post-coloniale » avec les hommes de leurs communautés, également dominés par le patriarcat blanc et premières cibles du racisme institutionnel.

Les Indigènes de la République

En 2003, elle fait la rencontre de Youssef Boussoumah, coordinateur des Campagnes civiles internationales pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP) et, en 2004, de Sadri Khiari, militant et politologue tunisien avec qui elle co-fonde le « Mouvement des Indigènes de la République » (MIR), dont l’appel « Nous sommes les indigènes de la République ! » paraît en janvier 2005. Houria Bouteldja en devient la porte-parole. Le MIR, devenu le Parti des Indigènes de la République (PIR) en 2010, dénonce le passé-présent colonial de la France et s’attaque à l’impérialisme et au racisme de l’hexagone, dont sont victimes aussi bien les peuples du Sud que les populations issues de l’immigration « post-coloniale ». Sa liberté d’expression en France est restreinte. Ainsi, alors qu’elle était invitée en 2017 à participer à un séminaire d’études décoloniales organisé à l’Université de Limoges, le président de cette dernière, sous la pression politique, annule sa venue, à la suite de quoi la Ministre de l’enseignement supérieur appellera les universités « à la vigilance ». A l’inverse, à l’étranger, Houria Bouteldja a été reçue avec les honneurs dans les prestigieuses universités de Berkeley, de Brown, d’Atlanta, de Rutgers, la New School de New-York (États-Unis), de la Humboldt Universität (Allemagne), de Complutense (Espagne), de Naples (Italie), d’Helsinki (Finlande), de l’UAM (Mexique), de l’UQAM (Québec), de l’ULB (Belgique), de SOAS (Grande-Bretagne), de Coimbra (Portugal), d’Adélaïde et de Melbourne (Australie)… Elle co-organise, avec le Decolonial International Network (DIN), la conférence internationale « Bandung du Nord » qui s’est tenue en mai 2018 à la Bourse du travail de Saint-Denis. Des figures historiques étasuniennes de l’antiracisme y ont participé, à l’instar d’Angela Davis ou de Fred Hampton Jr. Ainsi que de très nombreux militants décoloniaux venus des pays du Nord global comme le Canada, le Portugal, l’Espagne, la Belgique, la Grande-Bretagne…

Depuis 2020

Elle démissionne du PIR en octobre 2020, actant que le parti, acculé de toutes parts et isolé, est arrivé à la fin d’un cycle. Elle poursuit néanmoins sa vie militante en participant aux activités du QG Décolonial et du média Paroles d’Honneur.

2. Publications

Ouvrages

  • Avec Sadri Khiari, Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem, Nous sommes les indigènes de la République, Paris, Amsterdam, 2012, 435 + VIII.
  • Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l'amour révolutionnaire, Paris, La Fabrique, 2016, 143 p. Il existe aujourd’hui dans plusieurs langues :  anglais, espagnol, italien, grec, néerlandais.

Revues

  • Pouvoir politique et races sociales, Période,‎ juin 2016.
  • Nous, PIR.

3. Prises de position et polémiques

Engagée contre l’impérialisme, le néocolonialsme, le racisme, le sionisme et l’islamophobie, Houria Bouteldja est une personnalité controversée.

Elle est ainsi régulièrement accusée de racisme/racialisme, de sexisme, d’antisémitisme, d’homophobie. Il n’en est pourtant rien.

3.1 Racisme

Houria Bouteldja assume utiliser le terme de « race » pour combattre le racisme. Selon elle, la « race » n’est pas une donnée biologique mais une construction sociale et politique. Ainsi, de la même manière que le Capital crée la classe et que le Sexisme crée le genre, le Racisme crée la race. Et la « lutte des races » structure notre quotidien.

Elle emploi également le terme « Blanc » pour désigner la catégorie sociale-politique de ceux que l’État-Nation considère comme seul corps légitime, et trônant au sommet de la hiérarchie raciale, au-dessus des Juifs, Arabes, Noirs, Asiatiques et Rroms.

Elle est régulièrement accusée de racisme, de « racisme anti-Blanc » ou encore de « racialisme » pour l’utilisation de ce vocabulaire. Selon ses détracteurs, c’est parler de « race » qui créerait du racisme, en oubliant toutefois que la « race » existe déjà comme produit du racisme et qu’il est bien nécessaire de la nommer.

Aussi, la gauche, à l’instar de Serge Halimi, lui reproche de subordonner toutes les luttes (de classe, de genre, de sexualité) à la lutte des races. Mais loin de séparer et hiérarchiser ces luttes entre elles, Houria Bouteldja invite à les regarder comme faisant partie d’un tout à combattre : la modernité occidentale

Lui est également attribué un rejet des mariages mixtes. Mais elle formule en réalité une critique politique de l’idée selon laquelle le métissage et surtout l’idéologie qui l’accompagne mettraient fin au racisme, alors que le mariage avec les Blancs est souvent fondé sur une illusion de promotion sociale et que les unions intracommunautaires constituent un progrès contre la haine de soi inculquée par le racisme. Aimé Césaire d’ailleurs a aussi critiqué vertement en son temps l’idée du métissage – et non pas le métissage - comme projet politique.

En juin 2007 éclate une polémique autour de son utilisation du terme « souchien » sur le plateau de l’émission de télévision Ce soir (ou jamais !). Alors qu’elle entendait, par ce néologisme, ironiser sur l’expression de « Français de souche », euphémisme de « Français Blanc », ses détracteurs, au premier rang desquels Alain Finkielkraut et le journal Marianne, l’accusent de traiter les Français de « sous-chiens ».

Poursuivie en justice par l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) – association d’extrême droite - pour « injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une religion déterminée », Houria Bouteldja obtient gain de cause devant le tribunal correctionnel, la cour d’appel et la Cour de cassation.

Alors que son livre Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l'amour révolutionnaire fait l’objet de controverses intenses, elle reçoit le soutien public d’une multitude de personnalités, comme Ludivine Bantigny, Annie Ernaux, Stathis Kouvelakis, Michel Warschawski ou encore Océane Rosemarie.

3.2 Sexisme

Houria Bouteldja dénonce le féminisme blanc-universaliste et promeut plutôt un « féminisme décolonial », qui se traduit par une compréhension plus dialectique des rapports de pouvoir qu’ils soient de race, de classe ou de genre et par la prise en compte des masculinités subalternes non blanches.

Sur le plateau de l’émission Ce soir (ou jamais !) du 18 mars 2016, le politologue de gauche Thomas Guénolé invective Houria Bouteldja et l’accuse de soutenir l’idée, dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l'amour révolutionnaire, que « si une femme noire est violée par un noir, c'est compréhensible qu'elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire ». Cette phrase n’existe nulle part dans son livre. 

Il s’agit d’une pure diffamation. Dans son livre, l’autrice revient sur un sentiment largement partagé chez les femmes Noires états-uniennes qui est la volonté de ne pas dénoncer à la police un conjoint pourtant auteur de violences conjugales afin de ne pas « envoyer un Noir de plus en prison ». Le propos d’Houria Bouteldja est descriptif et non prescriptif. En effet, loin d’encourager les femmes non-Blanches à taire les violences qu’elles peuvent subir, elle se borne ici à décrire un état de fait, une certaine solidarité intra-communautaire, pour mieux souligner l’influence de la « race » dans les rapports sociaux et les impensées du féminisme blanc-universaliste à ce sujet.

À ce titre, Éric Hazan, éditeur de l’ouvrage, a réagi en qualifiant d’« élucubrations » les accusations portées par Thomas Guénolé.

3.3 Antisémitisme

Houria Bouteldja dénonce le philosémitisme d’État et le colonialisme israélien. Le premier correspond à une forme subtile et sophistiquée de l’antisémitisme de l’État-Nation puisque, tout en maintenant les Juifs dans une catégorie sociale-politique à part, il traite de manière privilégiée la répression de l’antisémitisme par rapport aux autres racismes. Le second traduit l’oppression dont souffre le peuple palestinien et la poursuite de l’impérialisme occidental.

En 2014, Houria Bouteldja pose sur une photographie près d’une pancarte où est écrit « Les sionistes au goulag ». Au moment où la photo est postée sur son propre compte facebook, elle ne provoque aucune polémique. Et pour cause! La photo a été prise pendant les manifestations de soutien au peuple palestinien en 2014, alors que les habitants de Gaza étaient bombardés depuis 3 semaines. 2 ans plus tard, Thomas Guenolé brandira cette photo hors contexte et l'accusera d'antisémitisme, créant ainsi un amalgame entre Juifs et sionistes, ce qu'il convient de considérer comme de l'antisémitisme. Il doit être rappelé que tous les sionistes ne sont pas Juifs, et tous les Juifs ne sont pas sionistes, le sionisme étant une idéologie raciste-colonialiste, objet d’une adhésion individuelle. 

Lui est également reproché le passage de son livre où elle écrit qu’« on ne reconnaît pas un Juif parce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité, de plébisciter son oppresseur et de vouloir incarner les canons de la modernité ». Mais ses détracteurs oublient alors de citer la suite immédiate de cette phrase, qui est « Comme nous », mettant par là même en exergue la soif partagée des Juifs et des Indigènes de s’intégrer dans le monde blanc.

Une nouvelle polémique éclate en 2020, après qu’elle ait déclaré, au sujet des réactions soit d’hostilité, soit d’antisémitisme, partagées par de jeunes Arabes sur les réseaux sociaux à l’encontre d’April Benayoun en qualité de dauphine du concours Miss France, « On ne peut pas être Israélien innocemment ». Comme précédemment, « Israélien » désignait ici le statut de colon dans le cadre particulier de la domination de la Palestine, et n’était en aucune manière synonyme de « Juif ». Mediapart a pourtant retiré son texte, dans les colonnes duquel il était initialement paru, sans explication alors qu’Edwy Plenel lui-même avait écrit en 2012 un article intitulé « nul ne colonise innocemment[1] » reprenant à son compte la célèbre citation d’Aimé Césaire.

Une pétition de soutien a toutefois été publiée par le collectif acta.zone et par l’UJFP, soulignant la tradition littéraire et politique émancipatrice dans laquelle s’inscrit Houria Bouteldja, et recueille les signatures, entre autres, de Gil Anidjar, Ariella Aïsha Azoulay, Alain Brossat, Georges Gumpel, Alana Lentin, Joseph Massad, Maboula, Soumahoro et Isabelle Stengers.

3.4 Homophobie

Houria Boutedlja remet en question l’universalité des identités politiques LGBT, dans la mesure où, s’il peut y avoir des pratiques homosexuelles dans les quartiers ou dans le Sud global, cela ne se manifeste pas nécessairement par une revendication identitaire politique. Il doit ainsi être rappelé que les identités LGBT sont un phénomène nouveau et situé, puisqu’elles naissent en Europe au XXe siècle, ce qui remet en cause leur caractère universel et intemporel.

Elle s’oppose également à l’injonction faite aux hommes indigènes homosexuels de faire leur coming out. Selon elle, « Les Blancs, lorsqu’ils se réjouissent du coming out du mâle indigène, c’est à la fois par homophobie et par racisme. Comme chacun sait, “la tarlouze” n’est pas tout à fait “un homme”, ainsi, l’Arabe qui perd sa puissance virile n’est plus un homme ».

Elle critique enfin l’impérialisme gay, qui consiste à imposer, parfois sous la contrainte, un modèle de société LGBT-friendly à des groupes ou des peuples, alors que ce modèle n’est pas universel.

Par ailleurs, ses détracteurs lui reprochent régulièrement de s’être réjouie, dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l'amour révolutionnaire, de l’assertion de Mahmoud Ahmadinejad selon laquelle « Il n’y a pas d’homosexuels en Iran ». Mais une simple lecture de l’ouvrage suffit à comprendre qu’elle ne soutient pas la répression des homosexuels en Iran mais loue le fait que le président iranien ait énoncé un mensonge aussi éhonté que tous les mensonges tenus depuis toujours par les dirigeants occidentaux, leur tenant tête par là-même.

3.5 Terrorisme

Houria Bouteldja dénonce les guerres impérialistes comme le terreau social et politique menant au terrorisme.

Le 31 mars 2012, à l’occasion du « Printemps des quartiers populaires », elle fait la lecture d’un texte intitulé « Mohamed Merah et moi », où elle revient tout d’abord sur l’histoire et la condition sociale qu’elle partage avec lui en tant que descendants d’algériens dans la République française contemporaine, mais souligne ensuite la divergence radicale qu’elle a avec lui quant aux chemins choisis par eux, lui ayant choisi l’antisémitisme et les armes et elle ayant suivi le combat politique émancipateur du décolonial.

[1]https://www.mediapart.fr/studio/podcasts/chronique/nul-ne-colonise-innocemment