Houria Bouteldja :« L’islamophobie est une métamorphose du racisme anti-arabe »
Propos recueillis par Marwan Andaloussi - Dans Libre Algérie le 27 juin 2016
Libre Algérie : Pour commencer, racontez-nous l’histoire de la création du Parti des indigènes de la république (PIR). Et quels sont ses objectifs?
Houria Bouteldja : Comme toute organisation politique, le PIR a pour ambition de transformer les rapports de force en faveur de ceux qui sont les plus opprimés de la société française : ceux qu’on appelle les indigènes de la république et qui sont issus de l’histoire coloniale de la France, à savoir les Sub-sahariens, les Antillais et les Maghrébins principalement. Nous sommes nés dans le contexte de l’après 11 septembre, de la loi de prohibition du voile à l’école, dans un contexte de forte islamophobie. Plus exactement, à un moment où nous avons compris que nous ne pouvions plus compter sur la gauche pour défendre nos intérêts puisque même la gauche dite « de transformation sociale » était elle-même majoritairement islamophobe et eurocentrique.
Dans votre livre, vous mettez en lumière le racisme subi par la population issue des anciennes colonies, comment expliquez-vous la persistance de ce racisme un demi-siècle après la fin de la colonisation?
D’abord parce que la France a été un empire colonial mais surtout parce que les rapports de domination Nord/Sud existent toujours sous la forme de l’impérialisme économique, politique, militaire et culturel. La France n’a plus son empire au sens strict du terme mais elle a toujours ses intérêts en Afrique et poursuit des menées guerrières en Libye, au Mali, en Syrie…Concernant sa politique intérieure, le racisme est l’un des moyens qui assurent la cohérence du pacte racial républicain. Lorsque l’Etat redistribue le pouvoir en termes de droits politiques, économiques ou sociaux, il se doit de privilégier son corps légitime (ceux qui sont à la fois Blancs, Chrétiens et Européens) pour que ceux-ci lui accordent leur confiance pleine et entière. Il s’agit d’un pacte social/racial entre l’Etat et son peuple élu. Comme l’Etat, sous la pression du libéralisme, a de moins en moins d’impact sur le levier social, il renforce le levier racial pour s’assurer le soutien du plus grand nombre.
On peut compiler un nombre impressionnant d’articles, de reportages, et de Unes de magazines anti-arabes, anti-musulmans ces dernières années. Mais ne pensez-vous pas que la société résiste aux sirènes racistes?
C’est difficile d’avoir un point de vue tranché sur la question. S’il l’on en croit la violence des diatribes islamophobes dans les grands médias, on peut effectivement constater que les réactions sur le terrain sont plus modérées que ce qu’on peut craindre. Il n’en reste pas moins que le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France ) enregistre une progression inquiétante des actes islamophobes, progression qui s’accentue d’années en années. Par ailleurs, sur le plan politique, il y a une droitisation claire de l’opinion depuis trente ans. Une tendance qui ne semble pas s’infléchir pour le moment. Cette évolution se fait clairement au bénéfice du FN qui semble parfois dépassé sur sa droite notamment par l’aile néo-conservatrice du pouvoir.
Quelles sont les conditions pour que la France admette son passé colonial et se réconcilie avec ses populations?
Je crois que l’essentiel se jouera sur le terrain et sur notre capacité à organiser le « tiers-peuple » indigène comme l’appelle Sadri Khiari. Il faudra aussi compter sur les franges les plus décoloniales de la gauche radicale française qui est de plus en plus sensible à notre discours.
Votre discours, souvent qualifié de radical, vous met en situation de confrontation avec l’elite politico-mediatique française. Pourquoi avez-vous choisi cette option?
Ce n’est pas un choix, c’est un passage obligé pour qui veut défier et remettre en question les pratiques et le récit occidentalo-centrés du champ politique français et de ses élites blanches.
On a pu constater ces dernières années, la nomination de certaines personnes issues de l’immigration à des postes de ministre. Comment expliquez-vous cette démarche des gouvernements de droite et de gauche d’ailleurs?
Un sucre qu’on nous jette au visage pour ne pas s’attaquer aux causes structurelles du racisme. C’est du symbolique qui témoigne en creux de la prégnance de la question raciale.
Quelles sont les perspectives politiques pour votre mouvement et pour les « indigènes » en France et en Europe, selon vous?
Cela dépend de notre capacité à résister, à créer du rapport de force et à mener une politique d’alliance tant sur le plan national qu’international.
L’islamophobie a t-elle remplacé le racisme ou est-elle le signe d’autre chose?
C’est une métamorphose du racisme anti-arabe. On ne peut plus être ouvertement raciste anti-arabe comme dans les années 70-80, du coup, ce sentiment est remplacé par ce qu’on pourrait appeler un racisme respectable puisque dorénavant les racistes pourront se défendre : je n’ai rien contre les Arabe, mais j’ai le droit de critiquer la religion. L’anticléricalisme historique de la gauche française vient fournir un argument supplémentaire à ceux qui se cachent derrière cette islamophobie.
Récemment, Gilles Clarveul, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), a sous entendu dans une interview au Figaro que le PIR devrait être dissous. Quel est votre analyse de ces propos?
Je crois que son idée est moins de nous dissoudre que nous isoler. En faisant le vide autour de nous, il casse l’antiracisme politique qui de mon point de vue est une menace pour le pouvoir notamment à un an des présidentielles. Il sait que notre mouvance est radicalement anti Parti socialiste et que ce n’est pas le spectre du Front national qui va nous faire flancher. L’antiracisme politique (qui vise essentiellement le racisme d’Etat) participe de la recomposition des contre-pouvoirs et pourrait s’allier avec la gauche radicale. C’est ce qui est redouté.
Il y a un mouvement social important en France depuis plusieurs semaines, quel est la position du PIR face à cette situation?
Le PIR a vu avec beaucoup de bienveillance et d’intérêt le développement de Nuit Debout. Depuis plus de trente ans, on assiste à une droitisation de la vie politique française. Nuit Debout ainsi que le mouvement syndical qui s’oppose à la Loi Travail est ce qui pouvait arriver de mieux au pays car tout ce qui déstabilise le pouvoir sur sa gauche est une bonne nouvelle. Il n’en reste pas moins que le PIR ne s’y est pas associé à cause de la composition sociale du mouvement qui ne rassemble au fond que les classes moyennes blanches. Les quartiers populaires ne se sont pas sentis concernés (sauf peut-être les lycéens) car le chômage y est endémique. Evidemment la loi Travail va précariser encore plus ceux qui le sont déjà mais ce sont les classes les plus visées par le déclassement qui se sont mobilisées, pas les quartiers malgré plusieurs tentatives pour implanter le mouvement en banlieue.
Pensez-vous que les revendications démocratiques dans les pays d’origines des « indigènes » ont joué un rôle dans le désir d’affirmation et d’existence politique en France et ailleurs?
Oui. La révolution arabe joue son rôle, tout comme la contre-révolution…
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