Génération Gaza 2014 : enjeux et stratégies
Publié le 9 octobre 2014 par Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah sur le site du PIR.
I. Indigènes versus gauche blanche ou la bataille de l’autonomie versus l’unité
Nous nous réjouissons qu’en dépit d’une invasion meurtrière et barbare de plus de 50 jours, l’armée israélienne a été incapable d’atteindre ses objectifs. Non seulement, l’agresseur Israélien n’a pas réussi à imposer sa volonté à Gaza mais en plus celui-ci s’est vu imposer une négociation avec la Résistance – ce qui est en soi une punition car ce n’est pas dans ses habitudes de morgue hautaine. Cela a le mérite de rappeler à Israël et au monde que jamais le hold-up de 1948 ne sera légitime et que sans résistance il n’y a plus de peuple palestinien. C’est pourquoi nous pouvons l’affirmer, Gaza, comme en 2009 et en 2012, a remporté cette dernière bataille. Et nous en sommes fiers.
Ce n’est pourtant pas cette victoire que nous souhaitons commenter ici mais celle, bien plus modeste et bien moins risquée que nous prétendons avoir remporté, nous indigènes de France, dans ce qu’il faut bien appeler la bataille française pour Gaza. Depuis quelques années, nous assistons à une recomposition du mouvement de solidarité pro-palestinien. L’agression israélienne a précipité cette évolution et a mis en évidence de nouvelles fractures et de nouvelles alliances au sein du champ politique blanc et non blanc. De nouveaux rapports de force se dessinent grâce notamment à la ferveur et à la ténacité de la « génération Gaza », fer de lance des mobilisations.
Acte 1 : Les indigènes entrent en scène
Le 13 juillet 2014, ce n’est pas la gauche qui écrit la première page de ce qui allait devenir un mouvement de mobilisation exceptionnel et d’une rare détermination depuis 2009[1], mais la « Génération Gaza ». Les indigènes ont donné le « la ». En effet, les colonisés de l’intérieur prennent toute la mesure de la tragédie qui se joue à Gaza la martyre et créent un collectif informel et affinitaire. Il est composé des organisations Palestiniennes comme le GUPS-Paris (Union générale des étudiants de Palestine), PYM-France (Mouvement des jeunes Palestiniens), Génération Palestine ou encore le Fatah-France, des organisations issues de l’immigration postcoloniale, comme le Parti des indigènes de la république (PIR), un service d’ordre (remarquable) composé de volontaires musulmans ainsi que des organisations de la gauche radicale comme le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ou l’Union juive française pour la paix (UJFP)[2]. Nous connaissons la suite : entre 20 000 et 30 000 personnes, principalement jeunes, souvent Arabes et musulmans, répondent à l’appel. La manifestation est exemplaire. Et ce pour trois raisons. D’abord parce que son initiative revient à des militants et organisations qui se situent dans la frange radicale du mouvement pro-palestinien (principalement non blanc). Ensuite, parce qu’ayant agi de façon spontanée, ils se sont affranchis des lourdeurs et frilosités organisationnelles et notamment celles du Collectif national. Enfin, par la grande proportion de jeunes (moyenne d’âge 25 ans), par l’énergie, la radicalité des mots d’ordre, la fierté identitaire et l’encadrement. En un mot, la qualité politique de l’ensemble. Et, faut-il le souligner, derrière le mot d’ordre de soutien à la résistance armée et ses différentes expressions politiques. Nous ne nous attarderons pas sur les provocations de la LDJ qui ont suffisamment été mises en lumière et qui n’ont pas réussi à altérer la puissance politique de cette manifestation. Au contraire, ces dernières sont l’exacte confirmation du défi politique que revêt le potentiel politique de ce « tiers-peuple » pour le mouvement sioniste et pour le pouvoir en place. Le succès est fulgurant et surprend les organisateurs eux-mêmes. De l’aveu de beaucoup, on a rarement vu une manifestation si massive, si déterminée, si jeune, si basanée…et si féminine. Les quartiers ont occupé la rue comme rarement. La prochaine manifestation est aussitôt annoncée. Elle aura lieu le samedi suivant, 19 juillet, à Barbès mais sera interdite.
S’appuyant sur les provocations de la LDJ/CRIF qu’il a laissées s’opérer et qu’il a couvertes, le pouvoir tente de museler cette jeunesse d’une part avec l’incroyable répression que l’on sait et d’autre part, en autorisant de façon quasi automatique la manifestation du collectif national du 23 juillet. Il tente de diviser le mouvement de solidarité entre les modérés menés par la gauche blanche et les radicaux à dominante indigène. Bien qu’interdite, les organisations palestiniennes et le PIR maintiennent leur appel à mobilisation. Le NPA également mais pas L’UJFP. Si la présence du NPA n’est pas surprenante, il faut tout de même souligner l’attitude d’Ensemble (membre du Front de gauche) qui, dans un tract du 15 Juillet, a clairement exprimé son soutien à la résistance du peuple palestinien[3], et a appelé à rester mobilisé malgré les interdictions. En revanche, si le PC et le Collectif national ont dénoncé l’interdiction, ils n’ont pas appelé à braver l’interdit. Notons que c’est le pôle clairement antisioniste qui a maintenu sa volonté de braver les interdictions et que c’est ce pôle qui est le plus en phase avec la « Génération Gaza ». Dix mille personnes répondent à l’appel. Nous connaissons la suite : une magnifique démonstration de la détermination et de la puissance indigène en gestation. Mais aussi une répression inouïe[4] qui a contraint les cadres traditionnels à bouger, voire à reprendre la main.
À l’issue de ce premier grand acte, et contrairement au déni de la classe politique, l’indigène est l’acteur principal tant sur le fond que sur la forme. La gauche blanche (mis à part le NPA et quelques exceptions) est au mieux observatrice, au pire, très embarrassée par une réalité à laquelle elle se dérobe depuis tant d’années. Elle ne tardera pas à reprendre la main… avec la bienveillance du pouvoir. Heureusement pour elle, elle jouera ce deuxième acte avec plus de dignité qu’à l’accoutumée mais il est vrai que la barbarie israélienne et la bêtise conjuguée des officines sionistes et du gouvernement Valls l’auront plutôt aidé.
Acte 2 : La gauche blanche reprend la main
Dans son édition du 25 Juillet 2014, le journal Le Monde salue le succès de la manifestation autorisée du 23 juillet organisée par le collectif national[5]. Il la prend comme point de référence de mobilisation réussie, écrivant ainsi : « D’après le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, il n’y a jamais eu de suspense concernant l’issue de la demande puisqu’il a déclaré mardi qu’il n’avait « jamais été question d’interdire » cette manifestation, contrairement aux rassemblements de samedi 19 et 26 juillet qui l’avaient été car ils présentaient selon le ministre « suffisamment d’éléments témoignant de risques de dérapage ». Ainsi, le ministère de l’intérieur donne un blanc-seing aux organisations de la gauche blanche et tente de créer la division, voire l’opposition entre les manifestants respectables et ceux qui ne le sont pas. En d’autres termes, la gauche reprend le leadership de la solidarité propalestinienne avec l’aval des autorités publiques.
Ainsi, le 23 juillet, le Collectif national prend l’initiative de la manifestation, soit dix jours après la première et 4 jours après la première manifestation interdite – bref, très tard par rapport au déclenchement de l’agression israélienne. Il ne pouvait plus décemment rester muet et mettre en péril sa crédibilité mais nous imaginons sans peine le malaise qui devait l’habiter devant le spectacle de la rue indigène, sa ferveur, la répression dont nous étions les victimes – ils sont tout de même de gauche – et les accusations d’antisémitismes qui, même si elles seront immédiatement démontées, marquent les mobilisations pro palestiniennes d’un stigmate infamant et sèment le doute dans les états-majors de gauche qui y croient en partie et qui par conséquent redoutent toujours la présence trop massive et trop ostentatoire d’indigènes dans ses rangs. Terrible dilemme que de prétendre représenter les classes populaires et de s’en défier en même temps mais telle est la réalité de la gauche française. Nous connaissons la suite. La manifestation est saluée par l’ensemble des observateurs. Personne ne manque à l’appel : Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain, Esther Benbassa, Dominique Voynet, Pierre Larrouturou, Pierre Tartakowsky…Le ban et l’arrière ban de la gauche de gauche sont réunis et même un certain nombre de représentants du PS comme Razzy Hammadi, Yann Galut, Pascal Cherki ou encore Alexis Bachelay…pour dire « stop à l’agression », « stop au blocus de Gaza », « sanction contre Israël ». Des mots d’ordre – il faut le reconnaître – tout à fait respectables. Le PIR s’est joint à cette manifestation sans états d’âme car notre ligne était claire depuis le début : faire que les mobilisations en Occident soient les plus massives possibles et respecter en cela notre mot d’ordre de soutien à la résistance qui devait revêtir un contenu concret et conjoncturel : soutenir la résistance c’est soutenir ses revendications[6] ce qui était le cas de cette mobilisation. De très nombreux indigènes venus de tous les quartiers répondent présent. À la fin du parcours, la manifestation est immédiatement dispersée parce qu’il ne faut pas tenter le diable. La presse salue la prouesse. La gauche respire un grand coup. Champagne !
Mais l’agression sioniste sur Gaza continue. Les manifs doivent continuer. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Un dernier défi restait à accomplir : contrecarrer les plans du gouvernement et les espoirs du mouvement sioniste qui misaient sur la division du mouvement entre les respectables – les Blancs – et les non respectables – les indigènes, et ainsi atteindre un objectif ultime : peser à l’international pour renforcer la résistance palestinienne et fragiliser le mouvement sioniste en Occident. On pourrait même ajouter un objectif du point de vue de la gauche de gauche : affaiblir le PS en s’appuyant sur des mobilisations populaires qui, il faut bien le dire, manquent en France. Mais « la Génération gaza » n’est pas tout à fait le peuple auquel aspire la gauche. Quant au PC, veut-il vraiment embarrasser le PS ?
Acte 3 : Mais les indigènes ne lâchent pas l’affaire
L’interdiction de la manifestation de Barbès a été vécue comme une atteinte à notre dignité. Les attaques contre Gaza se sont accrues. Cette fois, nous appelons à manifester à République, le 26 juillet. De manière assez inattendue, une partie du Collectif national se joint à l’appel, ce que nous vivons comme un pas dans la bonne direction car il faut désormais massifier le mouvement et retirer au pouvoir la possibilité de justifier une interdiction. Il faut donc la jouer fine. Le ministère de l’intérieur exige des garanties de sécurité et de maintien de l’ordre. Pour remplir cette condition, il exige la présence du Parti communiste et du service d’ordre de la CGT. Un bras de fer s’engage au sein du Collectif national pour obtenir l’accord du PC et de la CGT qui ne viendra jamais[7]. Pierre Laurent soigne sa prose mais ne trompe personne[8]. Cela fait longtemps que le PC nous a habitués à sa politique de l’autruche. Les indigènes n’ont pas la mémoire courte et se souviennent de sa lâche défection la veille d’une manifestation pro palestinienne de protestation contre la visite officielle d’Ariel Sharon en France suite à des attentats terroristes en Angleterre. Nous insisterions sur cette « anecdote » si nous pensions que le PC en avait honte mais nous avons un doute sur ce point. Donc, passons. Ainsi, le peuple indigène et ses représentants officieux qui, de fait, sont à l’initiative cette fois, n’inspirent pas confiance au PC et aux syndicats. Le gouvernement annonce l’interdiction de la manifestation. L’AFPS la dénonce mais renonce à manifester dans ces conditions[9]. Pourtant le Parti de gauche et les Verts maintiennent leur appel et déclarent qu’ils manifesteront en dépit d’une éventuelle interdiction. Le suspense durera jusqu’au samedi, 13h, jour de la manifestation. Le pouvoir tergiverse, hésite, et au final, bien qu’ayant officiellement interdit le rassemblement n’ose pas prendre la décision de le disperser. L’interdiction de la semaine précédente a fait couler beaucoup d’encre dans la presse internationale et la réputation de la patrie des droits de l’homme est mise à mal. Un rassemblement toléré a donc lieu. Tout se passe bien jusqu’à la dernière demi-heure. En cause, quelques provocations, une poignée de manifestants prêts à en découdre, l’impossibilité pour les organisateurs de maîtriser les mouvements de foule car le matériel, sono, camion ont tous été confisqués par les forces de l’ordre. Aussi sommes-nous en droit de nous interroger sur la présence d’organisations qui, alors qu’elles ne faisaient pas partie des négociateurs, ont été autorisées à entrer sur la place avec une sono puissante et des slogans qui laissent pensifs (« Nous sommes des Français, nous ne sommes pas antisémites »), alors que les organisateurs prévoyaient des discours de soutien à la résistance, pour la levée du blocus, l’ouverture du passage de Rafah, la dénonciation du couple Valls/Hollande, de l’Union européenne, l’absence hautement problématique du PC et de la CGT, des sanctions contre Israël, le renforcement de BDS… Oui, nous nous interrogeons… La manifestation dégénère. Désormais, nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de risquer le délitement de la mobilisation. Une prochaine manifestation interdite découragerait les manifestants, userait la volonté des organisateurs. Il fallait donc obtenir le droit de manifester légalement. Seul le collectif national pouvait le permettre. Le NPA, l’UJFP, le PIR et la FTCR en avaient conscience. Ils feront tout pour que cela se fasse en dépit d’une certaine mauvaise volonté chez une partie droitière du camp blanc comme une partie gauchiste du camp indigène.
Contrecarrant les plans du gouvernement et les espoirs du mouvement sioniste, le Collectif informel et le Collectif national finissent par trouver un point d’accord pour agir de concert. Les grosses organisations, partis et syndicats ne pouvaient plus se permettre la politique de la chaise vide. Peut-être la crainte de laisser le champ libre aux seuls indigènes ? Peut-être parce que les convictions anti-impérialistes ne sont pas complètements éteintes ? Peut-être la gravité de la situation à Gaza ? Peut-être pour jouer un semblant de bras de fer avec le gouvernement ? Peut-être les effets de la débâcle des municipales ? Et peut-être un peu de tout cela… Toujours-est-il que l’ensemble du Collectif national finit pas s’associer à notre Collectif informel pour organiser une grande manifestation nationale au-delà des querelles et rivalités de chapelle. Le pari est réussi. Aux mots d’ordre de la manif du 23 juillet, s’ajoute celui de soutien à la résistance sur l’insistance du NPA et de l’UJFP qui craignaient la défection de certaines associations palestiniennes. Quant au PIR, il insiste pour que les Palestiniens prennent la tête du cortège principal. La manifestation a lieu le 2 août. Elle se passe bien. Mabrouk !
Tout se passe bien ? Regardons de plus près pour prendre la juste mesure du rapport de force qu’a pu imposer la Génération Gaza. D’abord, tout comme en 2009, le départ se fait avant l’heure officielle. Le carré de tête et le service d’ordre assuré principalement par la CGT est pressé de partir. Tout cela nous rappelle un peu Gaza 2009. À la fin du parcours tout le monde se barre. Elle est dispersée pour certains à cause, pour d’autre grâce à… une pluie divine.
Sur le plan politique, c’est un service minimum. D’abord par l’absence des grands dirigeants : Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière, Pierre-François Grond, Clémentine Autain, Pierre Laurent manquent tous à l’appel. Ensuite par l’absence de sono, de mégaphone dans le cortège d’Ensemble, de tracts, de banderole, de sono dans le cortège du PG (mais un simple mégaphone !). Quant à la CGT et au PC, on sent qu’ils traînent des pieds. La CGT nationale et le PC se contentent de mots d’ordre pacifistes classiques. Respectivement ils diront « Gaza, assez de sang, la paix maintenant » et « Solidaires du peuple palestinien ». Il faut bien avouer que c’est un moindre mal quand on les compare à la CGT Paris qui se singularise par un slogan que Netanyahou n’aurait pas récusé : « Arrêt immédiat et sans conditions des combats ». C’est justement ce qu’Israël demandait ! Quant à la FSU, elle appellera mais ne viendra pas. Original. Plus surprenante en revanche, l’absence de certains libertaires et notamment d’Alternative libertaire et de la CNT.
On peut admettre qu’en période estivale ces forces puissent être désorganisées. Mais l’ensemble de ces éléments donne le sentiment que la gauche blanche s’inscrit de manière paradoxale dans le mouvement. Tactiquement, elle remplit son rôle mais, sur le plan stratégique, elle a tendance à suivre le mouvement et non à se mobiliser spontanément ce qui marque un recul de son engagement sur la Palestine. L’absence de tracts et de mots d’ordres fermes sur la plupart des banderoles est significative et se révèle inquiétante sur le long terme. Mais de notre point de vue, ce qui explique au mieux le manque d’investissement de la gauche de gauche, c’est qu’elle a globalement été traînée dans la mobilisation, littéralement par la force indigène, qu’elle n’a pas le total leadership et le contrôle, ce qui n’est pas dans ses habitudes. L’alliance avec la Génération Gaza reste précaire, n’en doutons pas.
II. Les leçons d’une mobilisation exceptionnelle
1/ Évolution des rapports de force et radicalisation tendancielle
Ce qui a changé par rapport à Gaza 2009, ce ne sont pas tant les mots d’ordre qui étaient sensiblement les mêmes mais le rapport de force imposé par la « Génération Gaza » et les organisations politiques indigènes les plus à même de représenter et d’encadrer cette dynamique qui ont su à la fois maintenir la flamme, entretenir l’autonomie de leurs revendications et jouer les équilibres avec les forces de gauche en ayant conscience des forces et faiblesses de la gauche pro palestinienne mais aussi du pouvoir et des organisations non blanches. Rappelons à titre d’exemple que le PIR était en 2009 persona non grata dans les manifestations du Collectif national et que nous avions été mis en dehors du cordon officiel de la manif au motif que nous soutenions le Hamas. Nous déclarions en effet que « dans une guerre coloniale, nous n’hésitons pas : nous sommes toujours aux côtés du peuple colonisé et des forces qui mènent effectivement la résistance ». Rappelons également que le leadership incontesté était celui du Collectif national. Déjà, la dynamique populaire en faveur de la résistance avait fait craindre le pire au Collectif national qui, on s’en souviendra longtemps, était parti 30 minutes avant l’heure officielle pour éviter de mélanger son cortège avec la masse des indigènes qui venaient de toute l’Île-de-France à l’appel des mosquées. Nous avons donc manifesté avec un écart de 500m au moins avec le cortège officiel, ce qui ne manque pas de piquant. Rappelons également que l’affirmation et l’autonomie indigène était pour le PIR son objectif premier. Les indigènes de la république n’existaient que depuis 2005. Notre volonté était effectivement d’organiser les indigènes sur une base politique autonome et d’imposer à un monde blanc particulièrement eurocentrique et islamophobe l’idée que la résistance islamique était tout aussi légitime que les autres. Cette idée a fait son chemin. Sur le plan national, de nombreuses associations musulmanes et/ou antisionistes ont fait ce travail localement comme nous l’avons fait à Paris. Nous pouvons à titre d’exemple citer des villes comme Lyon et Lille. Ajoutons aux acquis de Gaza 2014 la défiance grandissante à l’égard du PS parmi la jeunesse de l’immigration post-coloniale, ce qui ne peut pas manquer de nous réjouir. Espérons une rancune tenace qui ne faiblira pas à l’approche des prochaines présidentielles[10].
2/ Mais où sont les « morts aux Juifs ? »
Mis à part les milieux sionistes et les médias aux ordres, la plupart des observateurs se sont accordés à reconnaître que les manifestations de Paris comme de province se sont déroulées dans le respect du cadre prévu par les organisateurs. Cette observation était aussi partagée en Belgique[11]. Les slogans et les mots d’ordre, qu’ils soient pensés par les organisateurs ou spontanés par les manifestants restaient très politiques et n’ont jamais dérivés vers la judéophobie. Ce qui nous frappe en tant que membres du PIR, ce n’est pas tant l’absence de slogans dits antisémites que leur présence passée dans les rangs des manifestations organisées par les Blancs antiracistes et pro palestiniens. Beaucoup ont la mémoire courte mais lors de la deuxième intifada, c’est bien dans les mobilisations du Collectif national qu’il a fallu pendant des années faire la chasse aux slogans et aux pancartes antijuives et négationnistes. Cette tendance s’est progressivement atténuée lorsque des mouvements de l’immigration radicalement antisionistes sont apparus. Nous observons aujourd’hui la confirmation de cette tendance. Ce qui nous pousse à penser que c’est la faiblesse de la gauche sur l’antisionisme qui laisse le champ libre à l’expression antisémite. En d’autres termes, lorsque l’antisionisme est assumé, il désamorce les tendances judéophobes et complotistes qui remplissent le vide politique. Ce n’est pas le moindre de leurs paradoxes : ce sont les milieux les plus ostensiblement anti antisémites qui génèrent de par leur frilosité et leurs corsets idéologiques une judéophobie des indigènes. L’exemple de l’Allemagne est à ce titre très éloquent. La question palestinienne y est totalement prisonnière de l’histoire du nazisme et de la mauvaise conscience nationale. Une véritable chape de plomb pèse sur cette histoire. On imagine sans mal les dérives que cela peut occasionner. Les manifestations de l’été dernier en sont d’ailleurs une belle illustration[12]. Nous ne pouvons que saluer à ce propos le rôle exemplaire de l’Union juive française pour la paix (UJFP) ou l’IJAN, dont le travail politique permet de défendre dans le débat public que « juifs » et « sionistes » ne se superposent pas, et ainsi de lutter contre les accusations d’antisémitisme qui ressortent au sein du gouvernement, ou de certains journaux (comme Libération ou Charlie Hebdo par exemple) à chaque mobilisation.
Pour autant, il ne faut pas non plus fanfaronner. Le mouvement pro palestinien radical reste encore très fragile, en proie à de nombreuses contradictions et à la merci de nombreux parasitage dont il est coutumier. Nous en avons fait les frais cet été.
III. Vers un front pro-palestinien plus radical ?
Comme nous l’avons toujours dit, la solidarité en faveur de la Palestine n’évoluera pas tant que celle-ci restera prisonnière de la gauche blanche. Mais, paradoxalement, nous l’avons dit également, cette même gauche est indispensable[13] à un mouvement de solidarité international que réclament les Palestiniens. Or, à ce jour, seules les grandes organisations blanches rassurent les Palestiniens sur le plan politique et diplomatique. C’est un fait. Et c’est là que réside le dilemme. Il est évident pour nous et depuis longtemps que les indigènes doivent s’organiser en dehors du Collectif national qui, pris dans ses enjeux propres et ses contradictions, n’est pas en mesure pour l’heure d’accepter la radicalité de la Génération Gaza qui, elle, ne s’embarrasse pas des frontières de 1967, soutient la résistance armée de manière décomplexée et n’a pas hérité de la Shoah comme « religion civile[14] ». Pour autant, l’autonomie n’est pas une promenade de santé. Nous ne pouvons pas nous bercer d’illusion. La « Génération Gaza » n’appartient à aucune organisation indigène. Elle est spontanée, certes déterminée mais n’est pas organisée. Elle ne pèse que ponctuellement et seulement lorsque la barbarie israélienne affronte la résistance farouche des palestiniens. C’est là que la réflexion stratégique s’impose. Il faut d’un côté imposer un rapport de force sur une base plus radicale, susceptible de rassembler la « Génération Gaza », organiser politiquement les indigènes pour pouvoir peser à la fois sur le Collectif national et sur la politique française, et en même temps trouver les courroies de transmission avec tout le mouvement de solidarité avec la Palestine pour que, lorsque l’actualité l’exige, nous puissions former les regroupements les plus larges possibles. L’expérience de cet été nous autorise à croire en cette possibilité.
Dans un texte paru en avril 2014[15], Houria Bouteldja, dressant un bilan des trente ans de la marche pour l’égalité, préconisait déjà la construction de trois grands fronts, l’un d’entre eux ayant pour mission de s’opposer à la politique pro-sioniste de la France (il va de soi en dehors du Collectif national). Elle écrivait : « Un large front serait ainsi l’espace de la re-politisation de l’antisionisme mais également l’affirmation de sa nécessité {…}. Il aura forcément comme colonne vertébrale le refus du sionisme sous quelque forme que ce soit et une action déterminée contre la politique pro-israélienne du pouvoir français, contre le soutien à Israël de l’État, des forces politiques et de l’Union Européenne sur les plans politiques, économiques et culturels. ».
Il ne tient qu’à nous de faire vivre la Génération Gaza contre et avec le mouvement de solidarité pour que vive la Palestine !
Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah, membres du PIR
Notes
[1]Le collectif national rassemblera moins de 500 personnes le 11 juillet aux Invalides.
[2]L’appel et les signataires http://indigenes-republique.fr/agression-sioniste-vive-la-resistance-palestinienne/
[3]Tract d’Ensemble, « Halte à l’agression israélienne ! Solidarité avec le peuple palestinien ! », https://www.ensemble-fdg.org/content/halte-lagression-isralienne-solidarit-avec-le-peuple-palestinien
[4]Chiffres de la répression
[5]Composé de : http://plateforme-palestine.org/-Les-membres,140-
[6]La fin de l’agression contre le peuple palestinien, la levée complète du blocus de Gaza, en place depuis 2006, l’ouverture du poste-frontalier de Rafah avec l’Égypte, la liberté de mouvement pour les habitants de Gaza dans la zone frontalière avec Israël, la suppression de la « zone tampon », interdite aux habitants de Gaza, à la frontière, l’autorisation de pêcher jusqu’à 12 milles marins des côtes de Gaza, la libération des prisonniers arrêtés de nouveau après avoir été relâchés dans le cadre de l’accord d’échange avec le soldat israélien Gilad Shalit en 2011.
[7] Communiqué du PCF après interdiction de la manifestation de samedi : http://www.pcf.fr/57369
[8]Communiqué de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF : http://www.pcf.fr/57369
[9]Manifestation à Paris de samedi 26 juillet : nouvelle interdiction : http://www.france-palestine.org/Manifestation-a-Paris-de-samedi-26
[10]Présidentielles 2017 : Notre serment de Gaza au PS http://indigenes-republique.fr/presidentielles-2017-notre-serment-de-gaza-au-parti-socialiste/
[11] Solidarité avec Gaza : des dérapages ? http://www.tayush.com/apps/blog/solidarité-avec-gaza-des-dérapages
[12]http://www.tabletmag.com/scroll/179842/berlin-protesters-chant-jew-jew-cowardly-pig-come-on-out-and-fight
[13]Nous sommes les indigènes de la république, Sadri Khiari et Houria Bouteldja, éditions Amsterdam
[14] Expression empruntée à Enzo Traverso
[15]À Farida Belghoul et aux héritiers de la Marche « des beurs » http://indigenes-republique.fr/a-farida-belghoul-et-aux-heritiers-de-la-marche-des-beurs-deuxieme-partie/