Terrorisme et Politique…On marche sur un fil
Publié le 22 octobre 2020.
Compte-tenu…
1/ du déchaînement des forces libérales à l’échelle du monde, de l’Europe et de la France et de la recolonisation du monde dans un contexte concurrentiel mettant en péril l’hégémonie occidentale tout en amplifiant son agressivité impérialiste
2/ de l’absence d’alternatives utopiques à ces différentes échelles malgré la montée des contestations populaires aux quatre coins du monde
3/ d’une crise sanitaire mondiale dont les effets économiques sont dévastateurs et dont la facture risque d’être salée pour l’équipe gouvernementale
4/ de l’approche des présidentielles qui se joueront très probablement et sauf miracle sur le terrain de l’extrême droite
5/ de l’insurrection des Gilets Jaunes qui a pris pour cible l’Etat et sa police et dont la gauchisation tendancielle a fait trembler le pouvoir
6/ de l’évolution de la FI vers une plus forte radicalisation à gauche et vers le mouvement décolonial :
- Soutien aux GJ, aux grèves des cheminots
- Soutien aux familles de victimes de violences policières, participation à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, déclaration de Mélenchon sur la créolisation de la France rompant certes timidement mais significativement avec la tradition universaliste et national-républicaine dont il est l’un des chantres
7/ de la vague antiraciste qui a déferlé sur les grandes démocraties libérales après la mort de George Floyd prenant pour cible à la fois leur police mais également leurs symboles coloniaux et esclavagistes
8/ de la menace terrifiante que peut constituer pour le pouvoir une convergence des « beaufs » et des « barbares »
9/ de la menace du "terrorisme djihadiste" diffuse ou organisée qui pèse sur les sociétés occidentales et la France en particulier
L’équation à résoudre pour la Macronie est la suivante :
Comment garder le pouvoir et poursuivre méthodiquement la remise en cause du compromis historique entre le Capital et le Travail au profit du premier dans un climat où s’exacerbe une colère sociale qui vise d’abord la politique libérale du gouvernement et les institutions de l’Etat ?
Ce qu’il craint le plus : l’usure du pacte racial. Car plus la pression des forces libérales défait le pacte social, plus les gouvernants comptent sur la solidité du pacte racial pour continuer de lier le sort du monde ouvrier blanc à l’Etat bourgeois. Et lorsque le pacte racial s’étiole : (convergence des indigènes, du mouvement social et des GJ contre la police, meilleure compréhension de la gauche du phénomène islamophobe et du racisme structurel…), le pouvoir s’affole et n’a plus qu’un seul choix : renforcer le pacte racial. C’est l’une des fonctions cardinales de la notion de laïcité, signifiant mou qu’on a rempli selon les besoins idéologiques de la contre-révolution coloniale. De fait, il s’agit de remplacer le principe de « justice », revendication majeure de tout mouvement social par celui de « laïcité » qui est tout sauf innocent. Il est l’une des plus grandes supercheries idéologiques des classes dirigeantes pour retisser des solidarités objectives entre le peuple blanc et les grands intérêts de l’Etat au détriment d’un bloc social et politique opposé au bloc au pouvoir (on peut quand même s'interroger sur la facilité avec laquelle le camp progressiste s'est laissé dépossédé du mot "justice" ?).
Mais les résistances existent. Il suffit de regarder du côté des organisations musulmanes menacées de dissolution (CCIF, BarakaCity...) pour comprendre que c’est plus leur autonomie et leur indépendance vis à vis des institutions et leur manque d’allégeance au pouvoir qui posent problème que leur fantasmatique dangerosité.
Mais plus crucial, compte-tenu de la faiblesse de l’autonomie indigène, dans la période, le cas de la FI et de Mélenchon. Celui-ci est le point de jointure entre les forces blanches libérales et les forces antilibérales, il est aussi le point de jointure entre les forces blanches républicaines dont le projet repose entièrement sur la reproduction du pacte racial (toutes celles qui sont à droite du PC) et celles ballotées entre leurs intérêts de race et leurs intérêts de classe. De ce point de vue, Mélenchon occupe une place tant stratégique qu’ultra sensible. C’est sur la FI que tous les vents contraires se rencontrent. C’est pourquoi, le terrible assassinat de Samuel Paty, est l’occasion pour l’extrême droite et le pouvoir de faire rendre gorge à Mélenchon et à son parti. Il faut lui faire regretter sa participation à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre et son tournant décolonial. En d’autres termes, il faut le faire renoncer à défaire le nœud de la race, le nœud de l’alliance entre l’Etat et le grand capital, le nœud de l’alliance entre le prolétariat blanc et les bourgeoisies occidentales contre les peuples du sud ou de leur sud domestique. Bref, il doit réintégrer le giron de l’ « identité nationale » coute que coute.
Devant l’hypothèse Mélenchon - l’un des présidentiables les plus sérieux de la gauche - loin d’être révolutionnaire mais qui dessine les contours d’une recomposition sur la base d’une solidarité citoyenne et modérément antiraciste, la menace terroriste sert d’instrument d’ajustement sur la ligne national-républicaine pour réinstaurer le consensus raciste au détriment de la solidarité de classe. Elle est une garantie que les forces politiques blanches de gauche se replieront sur leur chauvinisme historique et structurel guidés par leur intérêt (immédiat) de race. C’est ce à quoi servent les appels à l’union nationale auxquels les forces politiques de la gauche radicale peinent à résister, à l’exception de certaines comme le NPA ce qui restera anecdotique si la FI ne fait pas le choix historique et décisif de rompre avec les logiques mortifères du pacte racial.
Ainsi, dans la conjoncture - et j’ajoute, malgré les imbécilités proférées par son patron à propos de la communauté tchétchène et malgré celles qu’il est encore capable de réitérer dans les jours, semaines, mois qui viennent – il me paraît plus urgent d’avoir en tête le rôle objectif de la FI et de Mélenchon plutôt que de se laisser submerger par des critiques justifiées mais ratant les enjeux de la période. Une approche réellement révolutionnaire et matérialiste doit s'attacher à mesurer la gravité de la situation et à estimer les rapports de force de manière juste et pragmatique. En d'autres termes, les forces antiracistes et antifascistes doivent peser pour empêcher le basculement de la FI dans le camp d'en face sans tomber dans un révolutionnarisme aventuriste, idéaliste et romantique.
Ceci ayant été dit, il va de soi que je plaiderai toujours prioritairement pour un mouvement autonome indigène capable de jouer dans les rapports de force mais aussi pour la popularisation d’analyses matérialistes pour nous armer politiquement contre le phénomène dit du « terrorisme djihadiste » et de son instrumentalisation, il va de soi donc que je plaiderai toujours d’abord pour renforcer le camp de l’alternative décoloniale mais faute de grives on se contente de merles hein ?