L’homophobie est-elle “une résistance farouche à l’impérialisme occidental”?
Au lendemain de la tuerie d’Orlando, retour sur certaines thèses défendues par l’essayiste Houria Bouteldja.
Fabrice Pliskin - Publié le 13 juin 2016 à 18h38 sur le site Nouvel Obs.
Si on cherche des circonstances atténuantes au geste d’Omar Seddique Mateen, cet Américain d’origine afghane qui a tué cinquante personnes dans une discothèque homosexuelle d’Orlando, on n’en trouvera sans doute pas de mieux argumentées que dans les écrits de l’essayiste Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République et auteur de «les Blancs, les Juifs et nous». Non que cette Française bien tranquille ait jamais justifié l’attentat. Mais les thèses qu’elle défend depuis plusieurs années écorchent l'oreille, au lendemain de la tuerie.
Citons ces mots de Bouteldja, écrits bien avant le massacre sur le blog des Indigènes de la République (le 12 février 2013):
Il serait temps, une bonne fois pour toute, de comprendre que l’impérialisme – sous toutes ses formes – ensauvage l’indigène: à l’internationale gay, les sociétés du sud répondent par une sécrétion de haine contre les homosexuels là où elle n’existait pas ou par un regain d’homophobie là où elle existait déjà (…)»
L’homophobie serait donc une « réponse» du Sud au Nord. La réponse du dominé au dominant, de l’opprimé à l’oppresseur. Pour Bouteldja, «la haine contre les homosexuels» a des causes politiques. Elle s’inscrit dans la lutte contre un impérialisme et un universalisme dominateurs, hypocrites, fallacieux. Et si l’on en croit Bouteldja, cette «réponse» ne manque ni de légitimité ni de grandeur. Pour reprendre son vocabulaire, l’homophobie est une forme de «résistance» - un mot qui résonne positivement dans l’histoire de France :
C’est pourquoi, de façon analogue, les quartiers populaires répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et… toujours plus d’homophobie. Quelle que soit la laideur apparente des réactions, elles ont une motivation commune : une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc et une volonté obstinée de préserver une identité réelle ou fantasmée, ou en tout cas une identité qui fait consensus.»
Le terme savoureux, ici, c’est l’épithète «apparent». Bouteldja évoque «la laideur apparente des réactions»homophobes. L’apparence, traditionnellement, est trompeuse; c’est le contraire de la réalité. Ne vous arrêtez pas aux apparences, nous dit l’auteur. Les insultes homophobes, les violences homophobes ne sont pas laides, elles n’ont qu’une «laideur apparente». Pour ceux qui savent bien regarder comme Bouteldja, la laideur apparente a une beauté cachée. Belle est l’homophobie. Car, si les mots ont un sens, l’homophobie est, pour Bouteldja, une forme de libération et d’émancipation.
Saine est l’homophobie, car, en exécrant les homosexuels, le «sujet colonial» travaille à se désassujettir, dit-elle. Quelle est la prochaine étape du raisonnement? Affirmer qu’abattre un homosexuel, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre?
Car que l’on se définisse comme ‘‘homo’’ ou non, que l’on ait des pratiques homo-érotiques ou non, être un sujet colonial implique d’être toujours sommé de se définir par rapport à des ‘‘modèles d’intégration’’. Quand on aborde le sujet de l’‘‘homosexualité’’ dans les quartiers populaires, on ne peut faire l’impasse sur les injonctions à s’intégrer dans la démocratie sexuelle occidentale, et à la réaction de tous les acteurs à cette sommation.»
Dans l’étrange système de Bouteldja, l’homosexualité est haïssable, car c’est le bras armé de la République néocoloniale. Qui n’est pas homophobe n’est pas anticolonial. L’homosexuel est une chance pour l’indigène de la République: lutter contre l’homosexuel (en soi ou chez les autres), c’est se délivrer de la violence raciste du pacte républicain, ce nouvel indigénat. Vertus civilisatrices? Casser du pédé, c’est se décoloniser, c’est arracher ses chaînes, c’est se soustraire à la catastrophe de l’intégration, de l’assignation, de la sommation. Bravo. Hourra Houria.
Dans son dernier livre, Bouteldja se moque du démocrate qui entre burlesquement en extase chaque fois qu’un «lascar» déclare son homosexualité devant micros et caméras. A chacun son extase. La sienne est de prouver que l’homophobie est une haine légitime qui riposte à une violence illégitime. Selon Bouteldja, c’est presque un devoir moral: si vous n’exécrez pas les homosexuels, vous êtes au fond un traître: vous collaborez avec un ordre injustement établi, celui de la «démocratie sexuelle occidentale». Si l’on suit la méandreuse et calamiteuse pensée de Bouteldja, pour le «sujet colonial», l’homophobie - en Floride ou ailleurs - est une réaction de survie.
Fabrice Pliskin