L’activiste Houria Bouteldja fait polémique à gauche
Par Sonya Faure
publié le 21 juin 2017 à 17h56 - Libération
Peut-être que désormais, les pires accusations de racisme s'échangent parmi les antiracistes. Après les ateliers non mixtes et racisés du festival afroféministe Nyansapo, programmé cet été à Paris (Libération du 28 mai), c'est à nouveau la figure de Houria Bouteldja, virulente porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR), qui suscite l'émoi. Dans le Monde du week-end dernier, Jean Birnbaum, patron du Monde des livres et auteur de l'essai Un silence religieux(Seuil, 2016), rapportait le malaise d'une partie de la gauche radicale face à la racialisation des débats : en surinvestissant la «race» dans l'analyse des rapports de force, on risque d'oublier «l'universalisme dont sont porteuses les luttes sociales».
Dans l'article, le livre de Houria Bouteldja, les Blancs, les Juifs et nous (La Fabrique, 2016), à plusieurs reprises accusé d'antisémitisme et de sexisme, incarne, selon le journaliste, cette extrémité : «L'outrance volontariste, parfois menaçante, du livre de Houria Bouteldja semble bel et bien avoir constitué la provocation de trop pour maintes figures des gauches.» La réponse ne s'est pas fait attendre. Sur le site du même journal, 21 intellectuels, dont la sociologue féministe Christine Delphy, l'écrivaine Annie Ernaux, la philosophe Isabelle Stengers, l'économiste Thomas Coutrot et plusieurs représentants de l'Union juive pour la paix, prennent la défense de Houria Bouteldja.
«Une telle pensée qui travaille les catégories existantes pour mieux s'en échapper est en avance sur son temps, décalée dans son époque, écrivent-ils. Elle dérange, choque, indigne qui veut lire trop vite et condamner sans procès.» Pour eux, si la militante suscite tant de haine, c'est parce qu'elle nomme un chat un chat, et un Blanc un Blanc. «Les Blancs veulent rarement être nommés tels, n'entendent pas voir ce que leur renvoie ce miroir.» La tribune a à son tour fait frémir les réseaux sociaux - à l'extrême droite bien sûr, et du côté de la gauche ultralaïque.
Plus intéressantes sont les réactions argumentées comme celles de Mélusine, le compte Twitter d'une étudiante en sciences sociales, qui a republié son intelligent texte «Bouteldja, ses "sœurs" et nous», paru en 2016, sur son blog hébergé par Mediapart. Elle y dénonce la tendance de la porte-parole du PIR à naturaliser la violence des hommes racisés, qui seraient plus machos que les Blancs : «Bouteldja ne nie pas l'existence de la domination masculine et la minorité à laquelle sont réduites les femmes, en particulier racisées. Elle les reconnaît - et les déplore, mais demande à ses "sœurs" un pragmatisme résigné face au "patriarcat indigène" : si les hommes racisés sont "machos", écrit-elle, c'est en réaction à la violence de l'hégémonie blanche qui veut les mettre à genoux en niant leur virilité.» Un antiféminisme, pour Mélusine, laquelle hélait, mardi sur Twitter, la grande militante féministe Delphy : «Hé ! Delphy, ton corps appartient à ta tribu ? Tu choisis l'abnégation face à la violence des hommes ?»