Houria Bouteldja des Indigènes de la République, « amoureuse » de Khatibi
Publié le 28 juin 2016, écrit par Jules Crétois sur le site Tel Quel.
Figure polémique de la lutte antiraciste en France, Houria Bouteldja dit comment elle s’inspire de l’œuvre, davantage plus oubliée, du penseur marocain Abdelkebir Khatibi.
Houria Bouteldja est porte-parole du Parti des indigènes de la république (PIR). Elle, comme l’organisation, n’a de cesse de susciter la polémique et de cliver les débats français sur le racisme. Son dernier livre, Les Blancs, les Juifs et nous, paru en 2016, a défrayé la chronique et suscité un vif débat. Le livre, accusé par ses détracteurs d’être misogyne, « raciste anti-blanc » ou encore homophobe, se veut un regard « d’indigène » sur des questions comme la mémoire de la Shoah, l’immigration, ou encore le sionisme. Dans ces pages, pour mieux illustrer son propos, elle renvoie à Abdelkebir Khatibi. L’intellectuel marocain, décédé en 2009, semble petit à petit disparaître des mémoires, tant au Maroc qu’en France, où il a été édité. Bouteldja explique ce qu’elle a trouvé de particulier chez lui et dans son pamphlet Vomito Blanco.
Votre livre s’ouvre sur un réquisitoire contre le philosophe français Jean-Paul Sartre. Puis, vous citez l’intellectuel marocain Abdelkebir Khatibi. Que dit, en substance, ce dernier au sujet de Sartre ?
Il lui reproche d’avoir trahi son propre engagement anticolonial lorsqu’a surgi la question palestinienne. Sartre était incontestablement un grand anticolonialiste qui a fait ses preuves, tant pour ce qui concerne l’Algérie que le Vietnam. Il a achoppé sur la question palestinienne à cause de ce que Khatibi appelle « la conscience malheureuse » et que je préfère appeler « la bonne conscience blanche ».
Pouvez-vous nous expliquer ce que Khatibi entend par « conscience malheureuse » ?
Je ne pourrais pas le dire de manière formelle. Mon interprétation c’est qu’il a compris que la gauche française était à la recherche d’un supplément d’âme avec la découverte des camps de concentration en 1945, et qu’elle devait se racheter pour dépasser sa crise morale. Pour ce faire, elle a utilisé le martyr juif au lieu de chercher une solution pour les Juifs d’Europe, comme par exemple remettre en cause le fonctionnement des États-nations qui fondent leur légitimité sur une partie du peuple au détriment d’une autre. C’est ainsi que l’État-nation français privilégie les chrétiens sur les juifs par exemple.
Qu’avez vous trouvé d’inspirant, en général, dans l’œuvre de Khatibi, dont vous dites qu’elle est trop peu connue ?
C’est une pensée tonique et radicale qui ne s’embarrasse pas de la critique d’une figure majeure, fut-elle Sartre. Il a décelé les angles morts de la pensée sartrienne, ce qui fait d’ailleurs de Vomito Blanco une œuvre majeure.
Ce que Khatibi reproche à Sartre, le reprocheriez-vous à des figures de la gauche française aujourd’hui ?
Plus qu’à de simples figures, à l’ensemble de la gauche radicale française, à quelques exceptions près. Je crois qu’il y a un problème de fond auquel cette gauche ne veut pas faire face. C’est qu’il y a un conflit d’intérêt entre le prolétariat blanc et les peuples du grand Sud puisque le prolétariat occidental tire une partie de ses privilèges de l’exploitation des peuples dominés par l’impérialisme.