« Génération Adama, Génération Climat : On veut respirer », Houria Bouteldja pour les nuls
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« Génération Adama, Génération Climat : On veut respirer »


Publié le 21 juillet 2020
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Ce mot d'ordre a fait converger autour de lui le comité Adama et Alternatiba à l'occasion de la dernière marche en mémoire de la mort d'Adama Traoré.

Puisque la marche a eu lieu et qu'elle a été couronnée de succès (ce dont je me félicite), je ne ferai de tort à personne en exprimant mon malaise après coup. Car on peut à la fois soutenir une cause et les collectifs qui les portent mais aussi se démarquer de certaines de leurs orientations.

Lorsque j'ai vu ce mot d'ordre pour la première fois, il m'a choquée. En effet, comment justifier de mettre sur le même plan la mise à mort d'hommes noirs ou arabes (et par extension tous ces hommes non blancs empêchés de respirer) et les problèmes écologiques aussi graves soient-ils ? Les mêmes analogies sont faites par certains antispécistes (la vie des animaux vaut autant que la vie des Noirs et inversement*). Je ne reviens pas ici sur notre condamnation sans appel de la dévastation écologique inscrite dans les gènes de la modernité occidentale et la nécessité d'y mettre fin. En revanche, la mort violente des non Blancs par les institutions de l'Etat, assimilée à des permis de tuer, ne peut en aucun cas souffrir la même analogie que les effets du réchauffement climatique sur la santé. On me rétorquera que les indigènes sont les premières victimes des désastres écologiques et j'en ai bien conscience. Mais cela n'invalide pas la nécessité de défendre l'intégrité des luttes antiracistes et leur priorité. Il suffit de demander à une mère ou à un père indigène : qu'est-ce qui vous inquiète le plus ? Que votre enfant meure étouffé par la police ou qu'il respire un air pollué ? Formulée dans le langage du réel, on mesure mieux l'absurdité de l'analogie.

Cette mise en parallèle est d'autant moins justifiée que les écologistes, tout comme les anticapitalistes, les féministes, les antispécistes et autres pans de la gauche peuvent très bien soutenir la cause des familles sur leur propre base, en restant à la place qui est la leur, à savoir derrière, ce qui permet dans le même temps et de renforcer et de préserver l'intégrité du combat des familles tout en densifiant le leur, parce que, oui évidemment, il y a un lien entre le racisme et l'écologie. Mais celui-ci doit être problématisé. Il n'y aura pas de solution écologique si l'humain n'est pas réhabilité à commencer par la catégorie qui a subi la déshumanisation la plus radicale : les Noirs. Une déshumanisation au fondement de ce que les décoloniaux appellent le "plantationocène" », nouvelle ère qui met l’accent sur le rôle des plantations en Amériques comme étape clé de la transition vers notre modernité. Cette étape qui est à l'origine de l'accumulation du capital et qui fera l'opulence des nations capitalistes les plus avancées (dont le développement et le mode de vie est très lourdement responsable de l'état de la planète aujourd'hui) s'est faite sur le travail extorqué de millions d'Africains et sur leur déshumanisation totale (code noir) qui se prolonge aujourd'hui à travers l'incarcération de masse et le permis de tuer les descendants directs de ces Africains mis en esclavage. A la lumière de cette histoire et de ses principales victimes, il ne devrait venir à l'esprit de personne d'établir une équivalence entre le "je ne peux plus respirer" de George Floyd et le "je ne peux plus respirer" de Greta Thunberg. L'un est mort, l'autre est bien vivante.

Ce post n'a aucune vocation à provoquer de la polémique gratuite mais ne rien dire m'apparaît comme une lâcheté. Les combats du comité Adama et d'Alternatiba n'en sont pas moins légitimes.

* Pour être précise, j'accepte l'idée défendue par le mouvement décolonial qu'il n'existe pas de hiérarchie entre l'espèce animale et l'espèce humaine (incluant l'humanité blanche) mais je n'accepte pas l'équation : la vie d'un animal = la vie d'un Noir. Désolée. Comprenne qui pourra

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