"L'homosexualité comme invention de l'Occident" ? Droit de réponse à Street Press et Rue 89
Novembre 2016
Le droit de réponse a été publié par Rue89 en février 2013.
Depuis jeudi dernier, j'ai assisté au spectacle très instructif d'une hystérie collective à propos
d'un article paru dans Street Press et relayé par Rue89 dans lequel les Indigènes de la
République ainsi que les deux auteurs des "Féministes blanches et l'empire" ont été mis en
cause. Nous aurions affirmé que l'homosexualité était une invention de l'Occident. Des
démentis ont été opposés par le PIR et par Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio
Ewanjé-Epée.
Au-delà de la débilité du propos qui aurait dû à minima semer le doute, je m'interroge avec
perplexité sur la rapacité avec laquelle les réseaux sociaux, les militants de gauche et
d'extrême gauche se sont enflammés. Nombre de nos soutiens et amis ont dû subir les foudres
de leurs camarades, leur faisant ainsi payer leur égarement et par conséquent leur adhésion
aux thèses qui sont les nôtres. Leurs oreilles ont sévèrement été tirées. Ils ne recommenceront
plus ?
Ce qui est étrange c’est que depuis que les indigènes existent, nos détracteurs, pour
disqualifier nos propos ou notre action, passent leur temps à répéter que nous ne représentons
rien. Soit. Si c'est le cas, pourquoi donner un tel crédit aux propos d’une militante qui ne
représente qu’elle-même ou presque ?
A contrario, on pourrait en déduire que c'est précisément parce que nous représentons quelque
chose qu'il y a eu cet effet de meute et que tous attendaient une intervention divine pour nous
tomber dessus à bras raccourcis. Manque de pot, notre propos est tout autre et s’il fallait se
débarrasser des grilles d’analyses qui sont les nôtres et qui sont parfaitement discutables, je
recommande un peu plus de prudence et plus d’honnêteté pour les affronter ou éventuellement
les combattre. Ce propos, quel est-il ?
Invitée le 6 novembre 2012 à l’émission ce soir ou jamais de Frédéric Taddéï, soit quelques
mois avant l’article calomnieux de Street Press, je déclarais : « Je ne crois pas à l’universalité
de l’identité politique homosexuelle. Je fais la distinction entre le fait qu’il peut y avoir des
pratiques homosexuelles effectivement dans les quartiers ou ailleurs mais que ça ne se
manifeste pas par une revendication identitaire politique. » Et ce devant quelques dizaines de
milliers de témoins.
Ce que j'assume, c'est que les identités homosexuelles - et non pas l’homosexualité - tout
comme les identités hétérosexuelles ne sont pas universelles. Il faut comprendre qu’il y a au
moins autant de manières de vivre son homosexualité qu'il y a de cultures et de groupes
humains et que ces modes de vie ne sont pas moins légitimes que ceux vécus en Occident. Il
n’y a d’homosexualité que s’il y a hétérosexualité mais cette binarité n'est pas elle-même
universelle. Il y a de part le monde des modes de vie extrêmement divers et étonnants. Le
couple "un homme, une femme" qui est le mode dominant en Europe est lui même circonscrit
dans le temps et l'espace. Combien de cultures ignorent ce modèle ? Il existe des groupes
humains où la famille n'a pas le même sens qu'ici, où les hommes par exemple ne sont que des
géniteurs et n'ont pas un rôle social de père. Les enfants sont élevés dans la communauté des
mères ce qui n'exclut pas les relations femmes/femmes ou hommes/hommes mais elles ne
sont pas forcément identifiées avec nos catégories. Que pourraient signifier "homosexuels" ou
"hétérosexuels" dans ces contextes ? Au Maghreb, l'homoérotisme a longtemps été toléré
jusqu'à ce que la colonisation impose les normes de la binarité rigide homo/hétéro. Je
recommande à ce propos les travaux de Joseph Massad.
Par ailleurs, affirmer que ces identités ne sont pas universelles ne signifie pas négation de ces
identités quand elles se revendiquent de manière assumée. Les identités peuvent se superposer
les unes aux autres. On peut parfaitement bien se revendiquer arabe et homosexuel ou
lesbienne puisque ces identités sont disponibles en Europe. Ce que je dis, c'est qu'on ne peut
pas aller défendre des hommes ou des femmes sur la base de leur homosexualité si celle-ci
n'est pas revendiquée ou assumée par eux comme une identité. Cela pourrait être considéré
comme un impérialisme sexuel. C'est pour cela qu'il est impératif de distinguer "pratiques et
vécus homosexuels" des "identités politiques homosexuelles". Il est impératif de respecter les
stratégies et les modes de vie que les homosexuels adoptent dans leur propre contexte (les
quartiers par exemple) et éviter les pressions de l'extérieur qui valorisent des modes de vie
gay faisant fi des conditions objectives des concernés et de leur volonté propre. Ce qui compte
en l'état ce n'est pas l'opinion chagrinée des observateurs extérieurs devant les difficultés que
rencontrent les homos arabes ou noirs en banlieue, ce sont les choix concrets que font les
homosexuels dans des contextes fragiles de précarité sociales, d'équilibre entre famille et
individu. Si dans un contexte de contraintes multiples, les stratégies de vie contredisent les
choix hégémoniques des gays blancs, alors il faut savoir le respecter.
Enfin, pour ce qui concerne l’homophobie réelle ou supposée des habitants des quartiers, la
banlieue n'a pas à être plus stigmatisée que la campagne française ou la province car
finalement si la France était tolérante er réellement gayfriendly, le ghetto du Marais
n'existerait pas.
Houria Bouteldja