De l'antiracisme politique à l'amour révolutionnaire : sur le dernier livre d'Houria Bouteldja, Houria Bouteldja pour les nuls
Les blancs, les Juifs et Nous. Vers une politique de l'amour révolutionnaire.,  Les gentils

De l'antiracisme politique à l'amour révolutionnaire : sur le dernier livre d'Houria Bouteldja

Publié le  · écrit par Simon Assoun pour Un canard dans la marge.

Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire, éditions La Fabrique, 2016, Paris, 143 pages.

  Houria Bouteldja est une militante antiraciste, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR). Le 14 mars 2016, un an après le dixième anniversaire du PIR, elle publiait un livre intitulé Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire aux éditions La Fabrique, un peu comme un cadeau pour celles et ceux qui cherchent et militent pour la sortie d’une société raciste et anti-sociale. La date retenue par l’organisation politique l’année dernière pour célébrer ses dix ans d’existence politique, le 8 mai 2015, est révélatrice de l’essence de la lutte antiraciste politique. En effet, le 8 mai 1945, toute la France célèbre la libération et la victoire contre le nazisme. Dans plusieurs villes algériennes, dont Setif, Guelma et Kherrata, les algériens descendent aussi dans la rue. Au dessus de leurs cortèges flottent les drapeaux alliés, dont celui de la France, et le drapeau national algérien. L’Etat français ordonne alors à l’armée coloniale de tirer à vue des emblèmes algériens. Appuyée par des milices de colons pieds-noirs, l’armée française massacre plusieurs dizaines de milliers de civils algériens venus rendre hommage aux combattants algériens tués dans la guerre contre le nazisme, fêter la liberté des français et réclamer la même chose pour leur peuple. La France libérée en 1945, c’est aussi la France coloniale, dans toute sa barbarie.

   Pourquoi choisir le 08 mai pour cet anniversaire ? Parce que l’expérience de la lutte politique antiraciste, de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 à la Marche de la Dignité et contre les crimes policiers de 2015, met en évidence deux éléments : tout d’abord, elle plonge ses racines dans le combat des indigènes de l’empire colonial français pour la liberté et l’indépendance ; de plus, malgré les victoires et les indépendances nationales des pays du Sud, les Etats occidentaux sont resté des Etats coloniaux. Tant dans leurs politiques étrangères et économiques dirigées vers le Sud, que dans le traitement des populations issues de l’immigration post-coloniale ou identifiées comme telles. L’antiracisme politique est une lutte décoloniale. C’est dans cette perspective que s’est constitué le PIR en 2005, faisant l’expérience que l’antiracisme ne pouvait pas faire l’économie de la reconnaissance de la colonialité du pouvoir et de la nécessité de l’autonomie politique des populations racialisées. Dix ans après, Houria Bouteldja dessine dans ce livre des perspectives d’alliances et invite à penser l’émancipation collective.

   Loin des proses alambiquées, le ton est franc. La pensée, riche et complexe, dénudée de tout artifice. Les références sont nombreuses. Houria Bouteldja convoque Jean Genet, James Baldwin, Aimé Césaire, Malcolm X et d’autres personnalités militantes, littéraires ou universitaires et propose une critique du racisme d’Etat et de la fracture de race. Elle inscrit ce rapport de domination dans un mouvement plus large, celui de la modernité. On peut dater le début de l’ère moderne à la fin du XVe siècle et à la « découverte » des Amériques qui marque le début de l’expansion de l’économie capitalistique, de l’esclavagisme et de la déportation des peuples africains et de la colonisation des continents africains et américains. Cette expansion repose sur la distinction raciale et l’attribution d’un statut social aux personnes en fonction de la race. Ainsi est créée la division de l’humanité en races, dont les deux pôles sont la race blanche et la race noire. La première est dominante, elle produit ce système. A la deuxième, on nie toute dignité et toute humanité. Ce sont bien ces catégories raciales, ces races sociales dont l’apparition correspond à une époque précise, qu’Houria Bouteldja utilisent pour dénoncer leur persistance aujourd’hui.

   L’antiracisme politique fait face à de nombreux combats. De la violence et des crimes policiers aux ingérences politiques et agressions militaires occidentales, en passant par les discriminations institutionnelles racistes (accès au logement, à la scolarisation, au travail etc.) et la reconnaissance des mémoires indigènes, l’impérialisme français déploie toutes ses forces. La fracture raciale traverse en profondeur toute la société et entretien un climat de violence sociale et politique, de stigmatisation et d’exclusion. Si les immigrés post-coloniaux subissent le plus violemment cette fracture, d’autres catégories de la population se trouvent tour à tour susceptibles d’y être confrontées : les Juifs, le prolétariat blanc, les minorités sexuelles.. Les rapports de domination qui traversent la société moderne sont pluriels, les identités sociales et politiques également. Plutôt que d’imposer une identité et un rapport de domination, Houria Bouteldja propose une perspective intersectionnelle. Il s’agit de reconnaître la pluralité des identités et des oppressions, qui se coupent et se croisent au sein de chaque personne. Au delà de la fracture raciale, il est nécessaire pour tous de construire des alliances et de se rapprocher pour se battre contre un système à bout de souffle qui, sinon, risque bien de tous nous emporter. A légitimité et à dignité égale, dans l’amour révolutionnaire.

Extrait choisi (page 56):

« Vous qui êtes Sépharades, vous ne pouvez pas faire comme si le décret Crémieux  n’avait pas existé. Vous ne pouvez pas ignorer que la France vous a fait français pour vous arracher à nous, à votre terre, à votre arabo-berbérité. Si j’osais, je dirais à votre islamité. Comme nous même nous avons été dépossédés de vous. Si j’osais, je dirais de notre judéité. D’ailleurs, je n’arrive pas à penser au Maghreb sans vous regretter. Vous avez laissé un vide que nous ne pourrons plus combler et dont je suis inconsolable. Votre altérité se radicalise et votre souvenir s’estompe. »

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